Âgé aujourd'hui de 87 ans et ayant de tout temps vécu en retrait des hommages, le moudjahid Ahmed Hafsi ne comprenait pas qu'on puisse s'intéresser à lui et à son combat. Bon vivant, l'allure fine et d'une présence presque théâtrale, il accepta, après moult tractations, de raconter sa vie et sa mort. Oui, sa mort, car l'homme est un véritable survivant ! En 1957, en pleine guerre de Libération, il avait été laissé pour mort sur les dunes de Sanhaja, l'une des plus grandes zones humides du pays. Grièvement blessé au pied lors d'un intense accrochage avec des militaires français, il ne put suivre ses compagnons d'armes et ne tarda pas à perdre conscience. Il ne se réveillera qu'aux hurlements d'une meute de loups qui l'encerclaient et qu'il parviendra à chasser en s'efforçant de jeter du sable autour de lui. Il ne dut son salut qu'à l'intrépidité de deux petits gamins d'un camp de regroupement de la région qui l'aideront à survivre en le cachant dans les ruines d'un gourbi. Une semaine durant, ils prendront soin de lui en le nourrissant avant d'aller alerter les moudjahidine qui viendront plus tard le récupérer. Hafsi n'était pas du genre à interviewer en se contentant de poser une question et d'en attendre la réponse. Non, l'homme semblait disposer en lui du film de sa vie qu'il feuillette dans toute son abondance en s'empressant d'enchaîner et de poursuivre son récit comme s'il ne voulait pas perdre le fil de ses souvenirs. Craignait-il ces maudits «trous de mémoire» ? Peut-être. Fils de docker, et comme la majorité des jeunes Algériens de son époque, Hafsi dû interrompre son parcours scolaire pour travailler comme apprenti boulanger et apporter un peu d'argent à la famille. Il aura néanmoins la chance de faire l'école du nationalisme au PPA et au MTLD sous la houlette des Hamr El Ain, Kauane, Toumi... et s'initiera avec une bande d'amis aux exercices des graffitis. Au déclenchement de la guerre de Libération, Hafsi vivait à l'écoute des informations. «A cette époque, je raffolais de toutes les informations relatives aux moudjahidine. Nous étions trois jeunes à partager cette passion, moi, Sifi Loucif et Chibout Soltane Rabah. Nous voulions rejoindre ces moudjahidine dont toute la ville parlait avec fierté. Cela nous subjuguait et nous voulions faire partie de ces hommes», raconte Hafsi. Membre d'un groupe de choc Les trois amis parviendront à convaincre un de leurs voisins à les «faire monter au maquis». «C'était le 6 avril 1955. A l'aube, il nous a accompagnés dans un long périple jusqu'à Mechtat Halloufa où Zighoud Youcef nous fera passer un véritable interrogatoire avant de nous permettre de rejoindre un groupe de moudjahidine, et là, notre joie fut immense de retrouver des amis comme Laïfa Mohamed, Bouthelja, Khaldi, Bengharsallah. C'était le plus beau jour de ma vie», rappelle-t-il. Quelques semaines après, Hafsi est appelé à prendre part à la fameuse opération des 9 bombes. «Notre mission consistait à déposer neuf bombes dans différents endroits ciblés de la ville de Skikda. Une mission que nous avons réussie dans son ensemble», raconte Hafsi. Puis, vint le 20 août 1955. Hafsi est désigné, avec Rachid Saker pour s'attaquer aux bureaux de la Police des renseignements généraux (PRG). «A notre arrivée, la ville commençait déjà à s'embraser. Midi passé, nous étions déjà près de la PRG. Alerté par Rachid, je vois un policier en tenue qui se dirigeait vers nous en brandissant son arme. Je sors mon pistolet et je tire deux coups. Le policier tomba raide mort. Plus tard, deux Européens s'étaient mis à me poursuivre. C'étaient des milices qui habitaient au Quartier Napolitain. Ils se sont rapprochés de moi, et là, j'ai sorti mon arme et je leur ai tiré dessus, tuant le premier et blessant le second.» Devenu membre d'un groupe de choc, Hafsi participera, plus tard à plusieurs opérations commandos dans la région d'Annaba avant de prendre part à plusieurs convois d'armement à partir des frontières tunisiennes. À l'indépendance, Ahmed Hafsi siégera à deux reprises à l'assemblée communale avant d'être détaché comme responsable de la Kasma des moudjahidine. Il habite aujourd'hui un F3 dans une cité populaire où il est très respecté par les nouvelles générations. «Je suis un enfant du peuple et je suis heureux comme je suis», conclut l'un des plus humbles et des plus sensibles moudjahidine. Advertisements