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Omar Benmalek, le dramaturge oublié
CONTRIBUTION / OMAR BENMALEK. ANCIEN GRAND NATIONALISTE ET HOMME DE THEÂTRE À CONSTANTINE
Publié dans El Watan le 06 - 06 - 2021

A l'instar de plusieurs hommes de culture qui ont marqué la scène constantinoise pendant la période coloniale, Omar Benmalek, le dramaturge aux multiples engagements et d'ambition illimitée, a contribué énormément au progrès du théâtre d'expression arabe à Constantine. Militant «hors pair» de la cause de Libération nationale, Omar Benmalek est né à Constantine le 26 avril 1919 au sein d'une famille qui se rattache à la confrérie Qadiria.
L'un de ses ancêtres fut le chef spirituel de Constantine Abd El-Moumen, qui a combattu les Turcs au XVIe siècle, puis il s'est réfugié à Biskra, d'après Nedjar Fatima Zehra de l'université Larbi Ben M'hidi d'Oum El Bouaghi. Fils du cheikh Chamsseddine, Mokadem de la Qadiria et vice-président de la société des confréries religieuses de l'Est algérien, Omar Benmalek fait ses études primaires à Constantine où il obtient son certificat de fin d'études, et après quelques années de cours complémentaires, il fait un passage à la Zitouna.
Cette formation littéraire le destine au métier de l'enseignement, d'ailleurs il maîtrisait les deux langues, l'arabe et le français. Il adhère en 1936 au Parti du peuple algérien (PPA), alors qu'il avait 17 ans. Il a même participé d'une façon active à l'action de l'Etoile nord-africaine section de Constantine. Ancien militant nationaliste il devenait après l'arrestation des principaux leaders nationalistes indigènes en octobre 1939, le militant le plus actif du groupement PPA dissous à Constantine.
En janvier 1940, il a tenté de réorganiser la section du PPA, camouflée en association sportive puis artistique, ou il est membre fondateur de l'association l'Union théâtrale aux côtés de Bentaleb Omar, Bourayou Mohamed Salah et Boudraa Salah. En juillet de la même année, il a manifesté l'intention de créer un journal de langue arabe El Balagh puis El Hadra.
Première troupe théâtrale
Au début de l'année 1942, il crée sa première troupe théâtrale, appelée El Masrah El Aasri (Le théâtre moderne), où au mois février, il met en scène la pièce Victime de l'amour, censurée par l'administration coloniale. Il monte ensuite El Itima (L'orpheline) qui appartient au répertoire de l'association Echabab El Feni de Constantine, ensuite Le Guezen et l'ivrogne et Demande en mariage avec de jeunes comédiens, dont on cite Bourayou Saleh, Zine Salah, Abdelmadjid Boutmira, Rahmouni Namene, Bakkouche Rabah, Bencharif Abderrahmane, Benmohammed Hocine, Benyamina Ali, Kamoune Mokhtar, Benkhlil Mohamed et Malika. Comme il y avait parmi les membres de cette troupe des militants nationalistes et des partisans réformistes de tendance Oulama, l'administration coloniale a tenté toujours d'interdire ou de refuser d'accorder l'autorisation à cette troupe pour effectuer une tournée théâtrale dans le département de Constantine, en avançant comme prétextes la pénurie des moyens de transport ou le typhus. Tout juste après Omar Benmalek change le nom de sa troupe théâtrale qui deviendra Le théâtre populaire, avec comme membres Amouchi Brahim, Benbadis Mahmoud, Benhamadi Larbi, Makhlouf, Bencharif et Benkartoussa.
Après plusieurs interdictions de monter sur scène, le jeune Omar Benmalek décide de changer à nouveau le nom de sa troupe qui devient Comédia en 1944. À cette époque le théâtre d'expression arabe était marginalisé, voire même censuré. D'ailleurs, cette nouvelle troupe reste inactive suite à plusieurs interdictions de séjour et de tournée artistique. Confronté à de tels problèmes, Benmalek ne baisse pas les bras. Il change de nouveau le nom de sa troupe théâtrale qui deviendra El Badr, et donne plusieurs représentations théâtrales à l'Opéra de Constantine, dont, Intissar El Haq (la victoire de la vérité), Souffrance éternelle, (une tragédie en 4 actes avec Omar Benmalek et Semira Nessim), Chez le cadi (comédie en un acte), Billel, Abi Naoues en correctionnelle, Le repenti et surtout sa grande réalisation, la fameuse pièce théâtrale Antar Ibnou Cheddad, l'œuvre du grand poète égyptien, Ahmed Chaouki.
Des pièces qui font sensation
C'est une pièce théâtrale qui n'a jamais été jouée sur les scènes de l'Afrique du Nord, avec la vedette algéroise Badria, Dalila, Touache Mohamed Salah, Bouzid, Amari Maamar, Kadour, Slimane Boudida et les chanteurs du malouf Mohamed Tahar El Fergani et Hacène El Annabi. Après la représentation donnée le 23 octobre 1945, devant une salle comble, au Cinéma Colisée d'Annaba, le président de la troupe El Badr Omar Ben Malek fut convoqué par la police pour donner des explications sur l'intervention sur scène d'une petite fille après les représentations, qui avait chanté une chanson à caractère nationaliste. «Les rayons de la pleine lune brillent haut entre les étoiles et nous guident vers la perfection. Les arts, la musique et le théâtre sont notre seul idéal.» Le refrain se terminait par : «Vive la jeunesse, vive les Arabes, vive le pays, vive El Watan» (Vive le nationalisme). La fillette mentionnée dans le rapport de la police française faisait partie du groupement des scouts de la troupe El Mouna de Tébessa. D'ailleurs le journal Egalité dans son édition du 15 décembre 1945, nous donne un aperçu sur cette affaire sous le titre de «théâtre musulman Antar Ibnou Chaddad interdit de séjour».
La décision d'interdiction est datée du 28 octobre 1945, le jour même où le président de la troupe Omar Ben Malek donne sa démission comme directeur à Selami Amar, qui devient par la suite directeur de la troupe El Badr. «Etant donné l'interdiction de la tournée et vu la situation lamentable de la troupe, je vous envoie par la présente ma démission en tant que directeur de la troupe El Badr», écrivait Omar Benmalek.
Ce dernier sera de nouveau autorisé fin 1945 à donner une nouvelle pièce théâtrale intitulée Dernier adieu, un drame d'amour avec un sketch comique d'Abou Naouas. La générale a été donnée au mois de mars 1946 à Constantine, ensuite dans des villes de l'Est algérien, à l'instar de Jijel et Guelma le 13 avril. Le rapport de la police qualifie la pièce de subversive : «...Le thème du Dernier Adieu était une histoire d'amour qui finissait tragiquement par la mort de l'héroïne. Une scène de réconciliation entre le père de l'héroïne et celui du héros amena une certaine réaction chez les jeunes qui crièrent : (jamais). Ces musulmans virent dans cet acte une allusion à une réconciliation générale sur le plan politique.»
Exil au Maroc
L'administration du département de Constantine continua de harceler et de serrer l'étau sur cette troupe, alors qu'en dehors du département la troupe est sollicitée de plus en plus comme à Alger où elle s'est produite le 22 juin 1945 en présence de Mahieddine Bachtarzi. Ce dernier le mentionne dans son ouvrage Mémoires de Mahieddine Bachtarzi, deuxième partie 1947-1956 : «Les Algérois applaudirent pour la première fois une troupe théâtrale de Constantine qui avait interprété (Le dernier adieu). Et même il lui fait demander de la redonner à la radio, et j'eus l'honneur de présenter ces jeunes artistes aux auditeurs devant le micro.»
Vu la renaissance culturelle et politique algérienne, l'administration coloniale a pris des mesures d'exception à l'égard du théâtre de langue arabe, dont la troupe de Omar Benmalek, qui reçoit le 5 juin 1946 l'interdiction définitive de toutes activités artistiques. Cette mesure vient après les interdictions de 1942 et 1944, avant d'être contraint à l'exil au Maroc où Omar Benmalek fonda une autre troupe théâtrale. En 1950, il décide d'organiser une tournée théâtrale dans le département de Constantine avec les studios chérifiens de Casablanca pour présenter deux pièces théâtrales, Abou Mouslim, pièce historique et une deuxième pièce du même genre Kais oua Kisra. D'ailleurs, d'après le doyen des journalistes algériens Boubaker Hamidechi, une plaque commémorative à son effigie se trouve à l'entrée du théâtre de la ville de Casablanca au Maroc.
Expérience au théâtre de Constantine
Après l'indépendance, les délégués municipaux de la ville de Constantine proposent la création d'un poste supplémentaire de professeur d'Ecole des beaux-arts pour assurer la direction artistique de l'Opéra. Un poste confié à Omar Benmalek. Et pour le choix de la direction de l'Opéra de Constantine (saison 1962-1963), le président de la délégation spéciale donne la direction artistique à Omar Benmalek pour la conduite et la tenue des spectacles. Aussitôt installé, il monta une pièce théâtrale pour les festivités du 1er novembre 1962 intitulée Le Héros (El Batal) en trois actes, tirée de la pièce Fi Sabil ettadj d'El Manfalouti avec Chérif Djilali dans le premier rôle, mise en scène par Omar Benmalek.
La pièce confirme la maîtrise du langage théâtral de Benmalek, avec un orchestre constantinois sous la direction d'Abderrahmane Bencharif secondé par Boulaouinet. Cette pièce qui a remporté un grand succès fut jouée à trois reprises au théâtre de Constantine. Après cette courte expérience au théâtre municipal de Constantine, il se trouve comme enseignant d'arabe à l'université de Constantine et chroniqueur à la télévision régionale où il animait une émission durant les mois de Ramadhan, ensuite directeur de l'information et de la culture de la wilaya de Constantine où en 1974, il lui revient de signer symboliquement l'autonomie du théâtre régional de Constantine.
Après avoir consacré autant de temps à l'épanouissement du théâtre constantinois, Omar Benmalek s'est investi dans l'éducation et l'instruction de ses enfants. D'ailleurs, il a fait le succès de leurs réussites, à l'instar de son enfant Anouar, qui après des études à l'université de Constantine, est devenu écrivain qualifié par la presse française de Faulkner méditerranéen et comparé à Camus par la prestigieuse revue américaine Harvard Review.
Malheureusement, le parcours d'Omar Benmalek, ce grand dramaturge oublié prend fin en 1983, où il meurt à cause d'un incendie à la maison familiale.
Par Mohamed Ghernaout
Enseignant et auteur d'ouvrages sur le théâtre algérien
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