Ils ont tué jusqu'à en être ivres : cinquante jours durant, soldats, gendarmes, policiers, miliciens, simples civils armés de haches, couteaux et mitrailleuses lourdes, outre les bombes larguées par les B-26 du golfe de Bougie et le croiseur « Dugay Trouin » qui pilonnait au canon à longue portée la région de Kherrata ! Près de deux mois durant lesquels le colonialisme français, dans un amok délirant, a laissé éclater sa haine dans toute sa hideur, dans toute sa cruauté. Les morts se comptent par milliers ; on les charge dans des camions qui les déversent dans des fosses communes ; on confie les cadavres à de sinistres officiants qui les incinèrent dans les fours à chaux. 45 000 Algériens tués pour 104 Français. Ils ont appelé ça de « la légitime défense ». Le général de Gaulle, chef du gouvernement, adresse depuis Paris un message au général-gouverneur Yves Châtaigneau, dans lequel il exprime « la volonté de la France victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté française en Algérie ». Oubliés les serments de Brazzaville, les promesses et autres billevesées serinées dans des grands-messes impériales, alors que la France humiliée cherchait dans les colonies le courage nécessaire pour se délivrer de l'occupation nazie. Ce carnage, ce triomphe fait à la mort, porte aujourd'hui un nom : crime contre l'humanité. Mais la France vient de voter en douce une loi étrange dans laquelle « la nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc et en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française ». N'est-ce pas là une façon bien singulière de botter en touche quand justement il est demandé à l'Etat français de reconnaître sa responsabilité historique dans le sort tragique qui a été réservé par le colonialisme au peuple algérien depuis les enfumades du Dahra et autres héroïcités de Pélissier ou Saint-Arnaud, jusqu'au génocide de Guelma, Sétif, Kherrata, pour ne citer que ces villes martyres parmi bien d'autres ? De quoi se sont rendus coupables celles et ceux qui ce matin du 8 mai 1945, alors que l'humanité clamait sa victoire sur un régime inique, réclamaient fort à propos que tous les régimes et systèmes iniques disparaissent de la surface de la Terre ce jour-là ? Coupables de réclamer plus de justice ? Coupables de vouloir vivre libres, liberté pour laquelle ils ont versé leur sang au même titre que les Soviétiques, les Américains, les Canadiens, les Australiens et tous les autres peuples qui ont barré la route au totalitarisme ? La notion de crime contre l'humanité regroupe le crime spécifique de génocide en vue de l'extermination ethnique d'un groupe ainsi que les crimes portant atteinte au « droit national » des individus tels que massacres de civils, bombardements d'objectifs civils, exécutions sommaires, torture, etc. L'Algérie est aujourd'hui libre. Elle le doit à ses enfants et à ses enfants seuls. Il appartient à ceux qui se sont rendus coupables d'exactions envers son peuple et qui désirent ouvrir une nouvelle page sur laquelle s'écrira l'avenir de regarder ce pays dans les yeux et de laisser parler sa conscience.