L'emballement qui a gagné le secteur de la justice depuis l'affaire Khalifa est-il annonciateur d'une nouvelle ère de moralisation de la vie publique remise au goût du jour cycliquement par les gouvernements successifs mais à chaque fois renvoyée aux calendes grecques ? Qu'est-ce qui a changé dans l'Algérie d'aujourd'hui pour que de hauts responsables et commis de l'Etat, de hauts gradés de l'armée et des services de sécurité, des hommes d'affaires qui avaient pignon sur rue, forts de leur soutien au niveau des cercles du pouvoir, soient traînés devant les tribunaux dans des affaires de corruption et de dilapidation des deniers publics ? Au commencement, il y avait l'affaire Khalifa qui avait dérouté tous les analystes connaissant les entrées et les sorties qu'avait Moumen Khalifa dans les hautes sphères du pouvoir. Après avoir fréquenté les allées du pouvoir, fait partie du cercle restreint des invités personnels du président de la république en Algérie et lors des voyages présidentiels à l'étranger, il était difficile d'imaginer que l'ancien patron de Khalifa pouvait connaître le sort qui est le sien aujourd'hui avec Interpol à ses trousses. Un mythe était tombé. L'opinion est cependant restée circonspecte sur cette affaire qui est toujours en instruction. On avait parlé de règlement de comptes entre clans du pouvoir. On a même douté de ce que la justice aille jusqu'au bout de ses investigations pour protéger des pontes du système en fonction qui ont trempé leur doigt dans le pot de miel. Les auditions suivent leur cours. On verra bien s'il s'agit d'une opération trompe-l'œil ou si l'affaire Khalifa pose réellement les jalons d'une nouvelle république en Algérie fondée sur la transparence et l'Etat de droit. Le rideau n'a pas encore été tiré sur cette affaire qui a défrayé la chronique politique et judiciaire puisque les procès n'ont pas encore été ouverts, que d'autres affaires impliquant cette fois-ci des commis de l'Etat et de hauts gradés de l'armée alimentent la chronique judiciaire. Si pour des raisons inexpliquées, mais que l'on devine aisément, on a tenu à préserver l'institution militaire en évitant des poursuites judiciaires contre les responsables militaires cités dans le procès de l'ancien wali d'Oran -on a préféré la méthode douce de la sanction administrative -, en revanche, l'affaire du wali de Blida semble être bien partie pour aller jusqu'à son terme. Les dénonciations de complices tapis dans le secteur de la justice qui ont donné lieu à l'arrestation de conseillers à la chancellerie ne peuvent que crédibiliser l'institution judiciaire aux yeux de l'opinion dans la mesure où c'est la première fois que de hauts fonctionnaires d'un secteur quasi intouchable il n'y a pas longtemps tombent sous les rets de la justice. La révocation de magistrats impliqués dans d'autres affaires comme celle du « baron de koléa » conforte ce sentiment ressenti au niveau de l'opinion selon lequel le secteur de la justice est en train d'opérer sa mue et d'assainir ses rangs. Mais ce qui donne aux démêlés avec la justice de l'ancien wali de Blida un sens politique encore plus prononcé, c'est très certainement le statut qu'avait cet ancien commis de l'Etat présenté comme un proche de Bouteflika. Les blidéens peuvent témoigner de l'engagement de M. Bouricha dans la campagne électorale de Bouteflika où il avait enfreint toutes les règles de l'obligation de réserve imposée par sa fonction de représentant de l'administration censée être neutre. Il n'avait pu réussir le triplé de recevoir pour une troisième visite officielle dans la wilaya le président Bouteflika. Le président de la république a annulé une troisième visite qu'il devait effectuer dans la ville des roses quelques semaines avant les déboires de l'ancien wali de Blida. « Préservez-moi de mes amis... » Ces premières têtes couronnées d'amis, de proches ou de responsables, qui font dans le « bouteflikisme » pour s'attirer les faveurs de Bouteflika sans leur avoir peut-être rien demandé, lesquelles tombent les unes après les autres avec fracas, signent-elles la fin de l'immunité et de l'impunité dont bénéficient tous les réseaux de soutien à la candidature de Bouteflika ? Ces réseaux ont constitué un véritable pouvoir parallèle. On s'est arrogé le droit de parler et de prendre des initiatives au nom du président. On a accédé à des privilèges en faisant valoir la golden-card « d'amis du président ». Ces agissements ont plus desservi que servi Bouteflika, qui semble avoir pris conscience aujourd'hui de l'étendue des dégâts : « Préservez-moi de mes amis, mes ennemis, je m'en charge ». Bouteflika semble avoir fait sien ce proverbe bien arabe. Même s'il faut garder la tête froide devant ces scandales dont il est prématuré de dire si le système bâti sur la corruption et la concussion vit des moments décisifs ou s'il s'agit d'un simple orage d'été, il faut reconnaître que la trame judiciaire est tellement bien esquissée que l'on ne peut que rester attentifs à ce qui se passe. L'arrestation du promoteur immobilier Hadji, présenté lui aussi comme un proche d'un ancien général-major tombé en disgrâce, aurait été interprétée sans nul doute comme une opération de solde de tout compte de ce dernier par amis interposés. Le fait que des proches de Bouteflika comme l'ancien wali de Blida soient inquiétés par la justice enlève selon toute logique toute consistance à cette hypothèse. A moins qu'il y ait derrière toutes ces affaires un jeu machiavélique du pouvoir qui échappe à l'analyse.