Premier pays de la rive sud de la Méditerranée à avoir signé en 1995 un accord d'association avec l'Union européenne (UE) et dont l'entrée en vigueur date du 1er mars 1998, la Tunisie s'apprête à connaître un autre événement de taille qu'est l'avènement de la zone de libre-échange en 2008, soit dans moins de trois ans. Intervenant au terme d'une période de grâce de 10 ans de la ratification de l'accord d'association, la zone de libre-échange consacrera définitivement l'ouverture des frontières et la suppression totale des barrières tarifaires et non tarifaires pour les produits en provenance du marché européen. C'est une véritable course contre la montre que se livrent actuellement les pouvoirs publics tunisiens pour rattraper les retards et accélérer les réformes et la mise à niveau du tissu productif en vu de le rendre compétitif face au rouleau compresseur que représentent les multinationales européennes. L'approche de ce rendez-vous fatidique occupe aujourd'hui les débats en Tunisie et la question qui taraude le plus les esprits des opérateurs économiques tunisiens, c'est justement comment faire face à la concurrence internationale ? L'économie tunisienne a été, relève le professeur Riadh Zghal, rencontrée lors de la table ronde du Maghreb organisée par la Banque mondiale (BM) à Tunis, fortement secouée par le démantèlement des tarifs douaniers qui, pour rappel, a débuté dès la ratification de l'accord d'association. "La plupart des secteurs économiques n'étaient pas assez préparés au démantèlement", note-t-elle. L'impulsion induite par le processus d'intégration à l'économie mondiale a eu, en revanche, soulignent d'autres experts tunisiens, un impact positif en ce sens où il a permis le lancement des multiples réformes et la mise à niveau du tissu industriel local. Aussi, le pays a pu, en offrant des avantages comparatifs intéressants, attirer au cours des dernières années plusieurs investisseurs étrangers. Un nombre important de multinationales a délocalisé des segments de production sur le marché tunisien. Chaînes de distribution, accessoires automobiles, agroalimentaire, services..., les enseignes de ces mastodontes internationaux vous frappent à chaque coin de la capitale tunisienne. L'émergence d'un secteur privé tunisien compétitif est par ailleurs à mettre à l'actif de l'intégration à l'économie mondiale. L'impact sur les salaires et sur les conditions de travail est également probant. Le niveau de rémunération en Tunisie est le plus élevé des trois pays maghrébins. "Des augmentations de salaires, il y en a chaque année", indique le professeur Zghal qui affirme toutefois que ces augmentations cachent une réalité amère : le chômage des diplômés. Les efforts de la Tunisie en matière d'éducation n'ont pas été suivis, souligne notre interlocutrice, par le marché du travail. L'industrie textile menacée Les employeurs en Tunisie ont recours beaucoup plus à la technicité et à la technologie qu'à la main-d'œuvre classique. Cette réalité s'est traduite par un chômage important en sein des diplômés dont le taux avoisine les 14%. Les nouveaux demandeurs d'emploi représentent aujourd'hui en Tunisie d'après les statistiques officielles 43 000 sur un total de 70 000. Dans les 5 prochaines années, ce nombre sera porté à 70 000 sur un total de 100 000. La réduction du chômage est l'un des défis majeurs que doit relever la Tunisie, tout comme d'ailleurs ses voisins maghrébins. L'autre défi auquel l'économie tunisienne doit faire face au cours des prochaines années concerne la baisse de ses exportations de produits textiles, conséquence directe de la suppression, depuis le premier janvier dernier, des quotas à l'exportation instaurée dans le cadre de l'accord multifibres (AMF). Avec 50% des exportations, 2000 entreprises et plus de 220 000 salariés, soit près de 48% des emplois industriels, le secteur du textile est de loin la véritable locomotive de l'économie tunisienne. Le démantèlement de l'AMF fait craindre le pire à l'industrie textile tunisienne, elle qui était jusqu'ici à l'abri d'une concurrence rude. On craint un accès massif au marché européen des grands producteurs asiatiques, à leur tête le géant chinois. La formidable compétitivité chinoise dans ce secteur fait craindre aux industriels tunisiens un déferlement des produits "Made in China", au détriment des producteurs tunisiens bénéficiant aujourd'hui de protections tarifaires en Europe où ils écoulent 80% de leurs produits. Quatrième fournisseur de l'UE en produits textiles, la Tunisie était jusqu'à 2002 le premier fournisseur de la France, avant d'être surclassée par la Chine en 2003, selon un rapport de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Ce qui est par ailleurs frappant pour le visiteur en Tunisie, c'est la multiplication des friperies. Ce qui constitue, pour le moins, un paradoxe pour un pays dit producteur de textiles. Un phénomène qui ne semble pas, outre mesure, intriguer les consommateurs tunisiens pour qui le recours aux friperies est devenu normal du fait de la cherté des produits fabriqués localement ou importés. Une étude de positionnement stratégique effectuée par le bureau d'études suisse Gherzi a révélé que la Tunisie, "comparée à quelques-uns de ses concurrents (Chine, Pakistan, Bangladesh, Turquie...), ne compte, aujourd'hui, à son actif aucun avantage comparatif. Même le marché intérieur ne peut pas servir de levier pour relancer le secteur dans la mesure où 45% des Tunisiens s'habillent chez les fripiers". Tourisme de masse Outre le textile, l'économie tunisienne est également frappée de plein fouet par l'augmentation des prix du pétrole sur le marché international. Le déficit de la balance énergétique se creuse de plus en plus en raison du maintien à des niveaux élevés du prix du pétrole. Pour juguler un tant soit peut ce déficit, les pouvoirs publics ont procédé à plusieurs augmentations qui ont touché les produits énergétiques au grand dame des consommateurs. Le prix du carburant est passé carrément du simple au triple, ce qui s'est traduit par une série d'augmentations sensibles des prix du transport et de plusieurs autres services et produits. Ce renchérissement de la vie en Tunisie est doublement ressenti par la société tunisienne dans laquelle la classe moyenne représente 70% de la population. "A ce rythme-là, j'arriverai plus à payer mes factures la fin du mois", nous lance Hicham, employé d'une entreprise publique à Tunis. Face au danger qui guette le secteur du textile et les répercussions néfastes de la hausse des prix des produits énergétiques, c'est le secteur du tourisme qui continue de tirer la croissance de l'économie tunisienne. Malgré une concurrence internationale assez rude dans le domaine, la Tunisie reste une destination très prisée des touristes attirés à la fois par la beauté du pays mais également par les conditions d'accueil et les prix des séjours défiant toute concurrence. Nos visites aux villes de Nabeul, Hammamet et Sousse nous ont permis de constater de visu l'importance de l'affluence des touristes. "Cette année s'annonce également très bonne pour le tourisme tunisien", affirme M. Hatem, responsable d'un hôtel à Hammamet. Saisissant l'occasion de notre présence, le gérant a tenu à nous faire savoir que les touristes algériens sont, selon lui, parmi sa clientèle préférée. "Ce sont des touristes qui ne lésinent pas sur les moyens pour passer des bonnes vacances, surtout quand ont les accueille bien", reconnaît-il. Pour cet autre directeur d'hôtel à Nabeul, qui a voulu garder l'anonymat, "c'est surtout le tourisme de masse qui prend de l'ampleur ces deux dernières années en Tunisie". La qualité des touristes a changé, d'après lui. "Avant on recevait beaucoup plus de touristes allemands et scandinaves qui sont connus pour leur caractère dépensier, ce n'est plus le cas aujourd'hui", nous révèle-t-il. Tourisme de masse ou non, ce secteur reste toutefois le premier pourvoyeur de devises avec des recettes de l'ordre de 1,8 milliard de dollars en 2004, et couvre 56% du déficit commercial de la Tunisie. Le secteur génère aujourd'hui plus de 350 000 emplois directs et indirects. La capacité hôtelière pour les dix dernières années, selon les statistiques officielles sur le secteur, a doublé, alors que le coût d'un lit a été multiplié par dix. La Tunisie compte près de 760 hôtels dont 38% des établissements sont classés 4 et 5 étoiles. En 2004, pas moins de 6 millions de touristes ont séjourné en Tunisie, soit une progression de 17,3% par rapport à 2003. Les touristes maghrébins viennent en tête des visiteurs de la Tunisie (2,3 millions), suivis de la France (plus d'un million), de la Belgique et de l'Espagne.