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« Ce fut un coup d'Etat rampant »
40 ans après, on fait parler du 19 juin 1965
Publié dans El Watan le 27 - 06 - 2005

Avant d'aborder la réponse aux questions que vous posez dans votre demande d'interview sur le 19 juin, il faut convenir de cadrer notre sujet historiquement et du point de vue méthodologique. Or, j'observe qu'avant de vous adresser à moi, vous avez fait appel en ouverture à d'autres. Pourtant, vous ne pouvez ignorer au niveau d'une publication de la taille d'El Watan le rôle joué et la position singulière que nous tenons historiquement avec mes camarades de l'ORP en tant qu'incarnation de l'anti-19 juin.
Vous comprendrez alors aisément que je ne voudrais pas pour des raisons d'ascèse être aligné sur un plateau secondaire, et pour parer à tout avant-goût de recuit, permettez-moi que je recentre le questionnement autour des deux axes suivants :
1. Pourquoi ce regain d'intérêt pour parler maintenant du 19 juin ?
2. Et comment en parler ? Chacune de vos questions y trouvera sa place, mais il faudra opérer un reclassement selon l'ordre de la connexité. Au lieu de procéder par saccades, sous le rythme des questions-réponses ; je préfère un enchaînement discursif où se précisera l'ensemble de la problématique induite par votre questionnaire. Commençons par relever un paradoxe : celui qui fait que les médias s'intéressent au 19 juin au moment où officiellement on décide de ne plus en parler. Est-ce l'audace de Bouteflika de faire passer par l'APN et le Sénat une telle mesure qui rend soudainement l'événement digne d'intérêt ? Et à quel titre le serait-il aux yeux d'une presse qui, pendant 40 ans, en a fait un sujet tabou sur lequel il était conseillé de surfer ? Après tout, au cours de l'ère Chadli, il a été un moment laissé aux oubliettes avant d'être remis au sérail des célébrations officielles sans susciter pour autant la moindre curiosité. Et si aujourd'hui on sent que l'on peut aborder sans trop de risques la problématique, c'est que l'Algérie en amont a fait son trop-plein de militarisme à travers son sursaut révolutionnaire et qu'en aval, elle s'avère incapable d'accoucher d'une alternative de substitution. Voilà la raison, lucide ou confuse, qui fait parler aujourd'hui du 19 juin. Cela dit, comment en parler ? Ily a ceux qui en parlent en témoins : observateurs ou auteurs, dont les anecdotes ou les témoignages doivent être soumis à l'épreuve de la vérification. Il y a ceux qui en parlent en partisans impliqués dans les enjeux qui furent aux origines des affrontements. Il y a enfin ceux qui en parleront en analystes, dont les travaux qu'on peut espérer scientifiques auront à en écrire l'histoire. Ma position est duelle. Acteur témoin, partisan je me suis défini avec mes camarades de l'ORP comme l'anti-19 juin. Il suffit de consulter la déclaration du 28 juillet 1965, condamnation sans appel du coup de force et appel à la résistance, pour s'en convaincre. Mais le fait d'avoir été dans une épreuve frontale avec les auteurs du coup d'Etat ne me dispense pas aujourd'hui de rechercher à situer l'événement, selon les termes de Georges Duby, « à sa place exacte, en sa position à la fois résultante et causale entre ses tenants et ses aboutissants, un nœud plus volumineux que d'autres sur une chaîne d'hésitations de succès et d'échecs tous alignés sur un seul vecteur » ; en l'occurrence pour nous l'enjeu du pouvoir dans la première phase de l'indépendance. Après cela, nous pouvons aborder chacune de vos questions non pas sous la seule appréhension subjective, mais également dans un effort d'analyse et de mise en relation dialectique.
Sur l'incrédulité de Ben Bella quant à l'imminence d'un coup d'Etat à la veille du 19 juin
Bien des facteurs subjectifs et objectifs anesthésiaient la vigilance de Ben Bella quant aux dangers d'un coup de force militaire aux approches du 19 juin. Tous les observateurs qui ont aujourd'hui passé la cinquantaine peuvent se remémorer les images d'un Ben Bella assistant en toute sérénité à Oran au match de football opposant l'équipe nationale à l'équipe brésilienne à l'époque menée par Pelé. Pourtant, les mises en garde n'ont pas manqué et, au premier chef, celles du responsable du bureau spécial de renseignements attaché à la Présidence qui, dans un rapport circonstancié, tira la sonnette d'alarme trois mois auparavant à partir d'informations fiables recueillies dans l'Oranie. De façon aussi directe encore, un témoignage d'Aït El Hocine, membre du bureau politique confié à Mohamed Harbi fait ressortir que les membres du groupe Boumediène de retour d'un voyage à Moscou auraient fait un détour par Genève où il se trouvait pour l'informer de leur détermination d'en finir avec Ben Bella (parce que ce dernier aurait été trop loin ?) avec l'espoir de le rallier et en faisant appel à sa discrétion. Rentré à Alger, ce dernier avisa Hadj Ben Alla de cette surprenante démarche, lequel ne trouva rien de mieux que d'aller interpeller Boumediène, s'il avait bien de telles intentions ! A la fin du printemps 1965, le commandant Bouanane dirigeant la place d'Alger basée dans l'ex-Caserne Marguerite, proche de la place du 1er Mai, avait la main sur les troupes de la capitale. A la suite d'un différend, il eut une vive altercation avec Chabou, alors secrétaire général de la Défense. Ce dernier lui enjoignit de remettre à la disposition du ministère une équipe de comptables qu'il avait formés pour ses propres services. Excédé, Bouanane récusa une telle injonction. C'est alors que Chabou, se retranchant derrière le poids de la hiérarchie, mit en condition Boumediène auprès duquel il cria à l'insubordination. Ce qui va suivre va relever du surréalisme, presque de l'ubuesque, Boumediène descendit au quartier général, il somma Bouanane de s'exécuter ; ce dernier, hors de tout contrôle de soi, mit les mitrailleuses en batterie et ordonna à Boumediène et à Chabou de déguerpir. Puis, réalisant la gravité de la situation, il saisit par télégramme Ben Bella d'un appel en détresse pour intervenir. Je me souviens, c'était un dimanche, jour de repos hebdomadaire à cette époque, je remontais vers la villa Joly résidence de Ben Bella, celui-ci en tenue kaki assis au balcon, observant sur le port le nombre de grues en action signe d'un trafic portuaire encourageant. « Tu as vu », fit-il à mon arrivée et il exhiba le télégramme de Bouanane. « C'est bien, ajouta-t-il, si les autres ont des velléités, elles ne passeront pas. Troublantes mœurs, troublant climat, n'est-ce-pas ? » Je quittais les lieux, troublé moi-même ne sachant quelle lecture donner à tant d'ambiguïté et de contradictions. Le lendemain avec stupeur, j'appris le dénouement suivant : Boumediène finalement en fin manœuvrier vint voir Ben Bella pour l'interpeller en ces termes : « Bouanane est en insubordination et il se réclame de ton soutien. » « Qui, moi ? », rétorqua Ben Bella. « Alors c'est à toi de lui notifier ça et de le mettre à la raison. » Il s'en fut mettre Bouanane aux arrêts qui s'exécuta sans rien comprendre. Il fut arrêté, dégradé et jeté en prison. Il passa de longues années en détention et, après son élargissement, à chercher du travail. Les derniers temps de sa vie furent ceux d'un homme brisé. Faut-il encore s'étendre sur d'autres facteurs en rapport avec cette incrédulité ? Décidément, ce serait trop long. Il faut seulement rappeler ce que j'ai déclaré à la revue Sou'al en 1981 à Paris, à savoir que le coup d'Etat a pris la nature de ces dangers trop familiers, et dont l'échéance tarde à venir au point qu'au fil du temps on finit par les considérer comme imaginaires. En fait, ce fut un coup d'Etat rampant.
Pour aborder la question de ma rencontre avec Boumediène après le 19 juin
Il faut dire qu'elle s'est déroulée dans les circonstances et aux conditions suivantes : les membres de la sécurité militaire avaient investi avec force le domicile de mon frère aîné Ahmed le matin du 19 juin et se sont emparés de lui pour l'emmener au centre de Poirson. Ils ont laissé une escouade occuper la maison et terroriser les femmes. Moi, je me trouvais ailleurs cette nuit-là et donc, j'ai échappé à l'arrestation. Quand ils ont réalisé en fin de matinée leur erreur, ils le libérèrent sans autre explication. Surprise passée et, premières informations prises, il fallait se rendre à l'évidence : bonjour la clandestinité. Les espoirs de résistance attendus étaient du côté de la fédération d'Alger, de l'université et des syndicats. Les premiers contacts avec la fédération d'Alger auguraient d'un grand flottement, une tendance à la recherche de contact avec Boumediène et, en tout cas, l'exclusion d'une résistance risquée. Je me suis laissé prendre à l'information selon laquelle Boumediène voulait à tout prix me voir pour me dire des choses très importantes. Ce fut Aït El Hocine qui se chargea d'arranger la rencontre au siège du ministère de la Défense ; en fait, quartier général du coup d'Etat. Le décor ne manquait pas au rendez-vous. Entourés d'automitrailleuses, nous fûmes introduits au ministère. Boumediène avait seul à ses côtés Bachir Boumaza, à l'évidence depuis longtemps de connivence avec les artisans du coup d'Etat. Boumediène commença par m'assurer qu'il n'y avait rien venant de lui concernant mon arrestation ; il rappela pour me flatter mes nombreuses oppositions à Ben Bella au bureau politique et au comité central sur de nombreux sujets. Curieusement, il n'invoqua pas contre Ben Bella le grief du pouvoir personnel - auquel il savait que je ne croyais pas -, mais plutôt ses incohérences, le fait que bien des institutions administratives étaient sans titulaires et qu'il distribuait de l'argent à la cantonade pour amadouer hors de toute discipline budgétaire. Il insinuait à mots couverts son attente d'une déclaration sinon d'adhésion du moins de mon hostilité au coup d'Etat. Je lui fis part de ma désapprobation du coup de force, de ma profonde inquiétude quant à l'impact sur l'image de l'Algérie, et surtout de ma grande peur de voir, par ce précédent, installer la culture du putschisme dans notre pays. Il négocia ces objections en affirmant qu'il ne fallait pas se bloquer sur les questions de forme. Il avait affirmé à des membres de la fédération d'Alger qu'il voulait m'introduire au Conseil de la révolution ; nous n'avions même pas effleuré la question tant l'atmosphère lui semblait contraire. L'entretien prit fin avec la vague affirmation de se revoir, j'étais déjà en tenue de travail manuel, béret et barbe non rasée. Sorti de là, à quelques centaines de mètres vers El Madania (la Redoute), je fondis dans la clandestinité. C'était le 25 juin.
Sur la justification du putsch par le pouvoir personnel
En termes d'évaluation réelle, Ben Bella avait le pouvoir du spectacle. Il était dans les tribunes, les stades, dans les meetings publics ou les congrès des organisations de masse, il était à la télévision. Il ne contrôlait ni la Défense, ni l'Intérieur, ni les Affaires étrangères, ni l'Education, ni l'Information et, finalement, même pas les milices confiées à Mahmoud Guenez. Tout cela faisait figure de hiérarchies parallèles et leur centre de gravité était la Défense nationale. Ce qui inquiétait le groupe Boumediène, ce furent ses incohérences et son imprévisibilité. La césure, à mon avis, a commencé à l'automne 1963. Quand, après l'agression de Hassan II contre Tindouf, il y eut le fameux rassemblement populaire sur la place de l'Afrique, la fameuse complainte de Ben Bella : « Hagrouna ya khaouti ! » Et l'immense clameur du raz-de-marée humain : « La... ! » Ben Bella nomma Tahar Zbiri chef d'état-major à partir du balcon du palais du Gouvernement à l'insu de Boumediène retenu à Béchar. La cassure s'élargit en novembre quand fut mise en place la fameuse commission de préparation du congrès du FLN. Dès lors, le centre de gravité se déplaça. Lors de la crise d'avril 1963, Khider reprochait à Ben Bella son agrégation au groupe dit d'Oujda qu'il jugeait autonome et incontrôlable. Ben Bella était en effet sous l'emprise du groupe de Boumediène, ce qui poussa Khider et Bitat à démissionner du bureau politique. Cette fois, les préparatifs du congrès allaient redevenir le centre d'intérêt. Sur la soixantaine de membres de la commission, les membres du groupe étaient ultraminoritaires. Ils misèrent sur le boycott et l'échec des travaux. Mais quand les travaux des sous-commissions prirent forme, et le projet qui allait naître sous le nom de la Charte d'Alger remis pour débats en plénière, ils revinrent en catastrophe pour surveiller l'évolution des choses. Nous étions déjà en mars 1964. La perspective du congrès aprochait et la dynamique déstabilisait le groupe. Dans un élan de désapprobation à l'approche des assises, ils présenteront leur démission à Ben Bella. Celui-ci la refusa. Il prit pour argument qu'il ne voulait pas être prisonnier de la gauche, comme c'était le cas de Soekarno en Indonésie. Vous relevez vous-même que ce n'était point l'attachement à un pouvoir collégial et institutionnel qui les déterminait, mais l'inverse. Le point nodal, c'était la recentration du débat et des décisions vers des institutions officielles transparentes et l'élimination des centres occultes de pouvoir. Khider disait pour grief envers Ben Bella : ils sont partout et personne n'est en leur sein, visant le clan Boumediène, habité à ses yeux par l'esprit militariste. La grande rupture qui aurait dû survenir au congrès n'eut pas lieu. L'adoption des textes faisait illusion. Les instances sorties de ces assises, comité central et bureau politique étaient de composition hétéroclite. Cela ne pouvait pas fonctionner. S'étant ressaisi, le groupe Boumediène comprit le parti à tirer de la situation ; il joua de l'inertie replié sur ses bases des ministères de la Défense, de l'Intérieur, des Affaires étrangères, de l'Information et des services de sécurité. Le coup d'Etat était dès lors en gestation. Il deviendra peu de temps après un projet, avant d'être une réalité le 19 juin. Passons les péripéties. L'argument de pouvoir personnel était spécieux, celui du pouvoir clanique et sectaire réel. Boumediène sera très vite président du Conseil de la révolution, chef du gouvernement, ministre de la Défense, chef d'état-major, président du parti.... Tout à la fois !
Vous parlez d'irréductibles à propos de Mohand Oul Hadj, Youcef Khatib et Salah Boubnider et vous vous étonnez de leur ralliement au coup d'Etat.
C'étaient des vaincus des wilayas de l'intérieur lors de la crise de l'été 1962. Ils ne faisaient pas de différence entre Ben Bella et Boumediène. On ne peut dire qu'ils aient rallié le coup d'Etat. Ils ont suivi pour la préservation de positions de notables. Zbiri, lors d'une interview, les avait rangés comme membres d'honneur du Conseil de la révolution.
L'argument du vide opéré par Ben Bella par l'élimination des historiques était avancé par Boumediène pour effrayer les gens de la trempe de Zbiri, Boudiaf, Khider, Krim, Ben Khedda et j'en passe, n'étaient pas des historiques aux yeux de Boumediène.
L'affublement du Conseil de la révolution de quelques noms de vieux maquisards reflétait encore plus la composante militariste du nouveau pouvoir. En politique, on peut faire feu de tout bois pour peu qu'on ait choisi de piétiner les principes. D'ailleurs, pour la compréhension de notre histoire, il faut bien voir de près cette qualification de « l'historique » pour ne pas en faire un fondement de l'imposture. Les historiens reviendront sûrement sur les réalités des mythes fondateurs et les mystifications.
L'Organisation de la résistance populaire (ORP) est née de la volonté de résister au coup d'Etat.
L'examen du parallélisme des formes entre la perpétration du coup d'Etat et la suppression de sa célébration officielle me renvoient à une notion qui peut caractériser à distance les deux contextes : « La lâcheté organique ». Je vous ai parlé tout à l'heure de la composition hétéroclite des instances sorties du congrès. Sur les 1600 congressistes, nous étions 80 délégués représentant la fédération du Grand Alger à mener campagne contre les tendances de Ben Bella à asseoir justement un pouvoir personnel dans les statuts. Nous faisions un trou remarqué dans la salle, chaque fois que le reste se levait pour applaudir. Même les membres du groupe Boumediène étaient de la partie, mais eux avaient une autre stratégie. Quand vint l'épreuve du coup de force, j'ai vu ces instances se déliquifier, d'autres comme l'assemblée faire allégeance par ralliement individuel de ses membres. Le coup d'Etat était perçu à l'extérieur comme un bouleversement géostratégique. C'était en plein préparatif de la conférence afro-asiatique et du Festival mondial de la jeunesse. Les observateurs l'ont vu comme un coup d'arrêt à ces grands mouvements tiers-mondistes. William Porter qui fut directeur de la CIA pour l'Afrique du Nord, puis ambassadeur à Alger et, fraîchement muté en Arabie Saoudite, fit une déclaration à partir de Riyad où il se félicitait de l'événement, ajoutant que toutes ses préoccupations étaient de faire tomber Ben Bella. A l'intérieur, le putsch remit à l'ordre du jour les positionnements de classes. La petite bourgeoisie commerçante, la bureaucratie parasitaire des appareils, le mouvement obscurantiste des ouléma virent là un coup d'arrêt à l'expression autogestionnaire au sein de la société. Les appareils de sécurité trouvaient là l'extension de leur influence en pouvoir absolu. Restaient en face le mouvement universitaire, les syndicats et la gauche intellectuelle pour ce qu'elle représentait. Les syndicats furent vite rangés. Ce sont les étudiants qui payèrent le prix. La résistance n'était pas en mesure de renverser le cours des choses. Nous nous sommes trouvés une jonction avec les membres du PCA. C'est ainsi que nous avions envisagé de créer l'ORP. Le programme est dans le sigle. Organiser la résistance populaire par tous les moyens contre le putsch. C'était Mohamed Harbi qui avait rédigé le projet de proclamation, dont le ton était radical et extrémiste. C'était le heurt frontal et le commencement d'une autre aventure après celle de la guerre d'indépendance.
Le coup d'Etat était-il 40 ans après un bien ou un mal ?
Comme Nietzsche : je place les considérations par-dessus le bien et le mal au niveau vous l'ai-je dit d'un fait historique « un nœud plus volumineux que d'autres sur une chaîne de décisions de tentatives d'hésitations » et, ajouterai-je « de la lâcheté et d'héroïsme ». A chacun d'esquisser un bilan. Il y trouvera son bonheur ou sa haine. L'histoire du 19 juin restera à faire par des historiens, s'il en existe pour l'Algérie.
La crise FFS avait-elle influé sur les événements ?
Voilà que vous revenez à la façon de saisir de saison l'événement à la fois comme résultante et, ensuite, causale sur la chaîne dont je parlais tout à l'heure. Il faut délimiter à quel repère vous situez la crise FFS. Si vous embrassez la crise FFS dans sa totalité et que vous l'alignez sur le vecteur des enjeux de pouvoir après 1962, à coup sûr il s'agit d'un facteur avec l'agression marocaine qui le plus contribua à accélérer la militarisation de l'Algérie après l'indépendance. Si vous visez seulement les tentatives d'arrangement engagées par Ben Bella avec Aït Ahmed, il ne s'agirait là que d'un effet de surdétermination, peut-être de précipitation. Le projet de putsch était arrêté bien avant.


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