Les nuits, déjà tristes comme une vieille femme sans enfants, sont en passe de devenir plus tristes encore. Après l'obligation pour les établissements de spectacle, les boîtes de nuit, les salles de cinéma, les cafés et pratiquement tous les commerces de fermer à minuit, ce sont les cybercafés qui sont visés par un nouveau décret. Dernières lumières dans l'océan des obscures certitudes, ces petites lucarnes pour insomniaques chroniques, décalés temporels et dialoguistes nocturnes avec l'autre monde vont fermer à minuit, occasionnant par là des pertes d'emplois sèches et de la déprime collective en excédent de bagage. S'il y a cette nette volonté de moraliser la vie publique par obligations successives, d'interdire au nom des interdits consensuels et régenter tout un peuple du fond de son bureau, il faut peut-être rappeler au décideur qui a le doigt sur la télécommande qu'Alger, tout comme les grandes villes algériennes, n'est pas un petit village. Pour la quiétude et la sérénité, c'est plutôt vers les campagnes et les montagnes désertées par l'amnistie qu'il faudrait s'orienter. Imaginer Londres ou Djakarta fermer à minuit est aussi absurde que de demander à un Méditerranéen de dîner à 20h par décret ou de dormir à minuit moins le quart sous peine de sanctions pénales. Pourtant, la loi est passée et on peut déjà s'imaginer un été à minuit cinq minutes avec 30° au thermomètre, le souffle court à errer dans les rues fermées, dans une ville morte, entre les chats à tête de rat et les clochards aux visages de fin du monde. Quant à Ahmed Ouyahia, le brillant auteur qui a signé ce décret, on pourrait raisonnablement lui demander où il passe ses soirées. Au bureau, répondrait-il. Ce qui n'est bien sûr pas vrai. Aucun Algérien, même moralement irréprochable, ne travaille autant. Tout comme aucun Algérien, même idéologiquement fermé, n'aime la tristesse.