Lorsque la vérité n'est pas libre, la liberté n'est pas vraie. » C'est armé de cette citation du poète Jacques Prévert que je réponds à l'appel de la pléiade de nos illustres artistes, réunis par le destin au complexe touristique La Tafna de Maghnia. Ils étaient tous là ou presque, Sid Ali Kouiret, Mohamed Adjaïmi, Saïd Hilmi, Kaci Tizi Ouzou, Tahar Lamiri, Farida Saboundji, Fouzia Aït El Hadj, Fatiha Berber, Blaoui Houari, Mazouz Bouadjadj, Youcef Bouchouchi... Diantre, cela n'a rien d'une hallucination. Non, ce n'est pas un rêve ni un casting. Et même si les portes du ciel s'étaient ouvertes juste pour moi, je n'aurais pas réussi à tomber sur cette providence. C'en est une. Et pour dire vrai, c'est le malheur qui a fait croiser nos chemins. Joli malheur ! devrais-je dire, quitte à être taxé de masochiste. « Nous avons été humiliés de la manière la plus abjecte qui soit », crie au téléphone, le ton pathétique, Saïd Hilmi. Que l'on se rassure, ce n'était pas l'effet de la fatigue, Saïd ne répétait pas une tirade pour un éventuel téléfilm... Sapristi, qu'est-ce que c'est que cette bourrasque qui s'abat sur moi ?! « Si Saïd, vous êtes sûr que vous ne faites pas erreur, je ne suis pas metteur en scène ni manager, je suis journaliste en couverture présidentielle à Tlemcen, et d'abord, êtes-vous vraiment le véritable Saïd Hilmi ? », ai-je riposté. « Attendez, je vous passe Adjaïmi. » Ya Rabbi, qu'est-ce que c'est que cette journée de farces ? « Ecoutez, dit Ajdaïmi, ce joueur impénitent, nous n'avons pas été accueillis, mais abandonnés et méprisés, et je ne comprends toujours pas cette humiliation gratuite ! » Allah ou Akbar. C'est bien sa voix. « Patiente, Monsieur le journaliste, je vous passe ammi Kaci ! » Ouf, je n'en peux plus, pourquoi cela est tombé précipitamment sur moi ? Embarrassé, la voix enrouée, Kaci Tizi Ouzou abonde dans le même sens : « Ya ouldi, on nous a fait venir ici pour nous abandonner, le hic, c'est que nous n'avons rien demandé, mais que Dieu leur pardonne ! » « Comme il a dit lui » Fouzia Aït El Hadj, la voix à la Bonnie Tyler nous rassure : « Demande à Bouziane Ben Achour, nous sommes les authentiques artistes qui vous parlent, ce n'est pas une blague. » Sacré Bouziane qui veut ma perte, lui, qui m'a confirmé cette réalité. « Ils ont des problèmes, va les voir ya sahbi. » Oui, mais, affronter toutes ces personnalités, ya Rabbi, ya sidi... J'assiste sur les feux de braise à la conférence de presse du ministre de l'Intérieur, je termine la tournée avec le président de la République et je file dare dare à Maghnia. La peur au ventre, les larmes aux yeux. Qu'est-ce que c'est que cette calamité ? C'est que c'est trop pour moi. Pourtant, Bouziane connaît ma « fragilité ». J'entre sur la pointe des pieds à l'hôtel. De loin, j'aperçois Adjaïmi, Hilmi et Bouchouchi. « Salam alikoum, je suis le... », entonnais-je. « Rayyah ! », rétorque Adjaïmi. Je sursaute. Enfin, il y a des phrases qui font sursauter. Bien accueilli, mis à l'aise, je scrute le décor et les personnages réels. J'en suis ébloui. Mout wakef, ya journaliste, Hilmi ameute le reste. Tour à tour, Sid-Ali Kouiret arrive puis ammi Kaci, Lamiri... « Vous n'êtes plus en colère ? », ânonnais-je. « Vous savez, nous sommes venus à Tlemcen sur invitation pour accueillir le président de la République, mais voilà, ce qui aurait pu être un événement artistique s'est métamorphosé en cauchemar. On est arrivé à l'aéroport à 8 h, après une attente de 45 mn, on nous a embarqués dans un bus de location avec l'idée de nous ramener à Maghnia sans aucune explication. Nous n'avons rien contre cette ville chaleureuse et accueillante, mais nous étions livrés à nous-mêmes », raconte, dépité, Saïd Adjaïmi. Il renchérit effondré : « Nous nous sommes sentis humiliés, si c'était des étrangers, on se serait comporté différemment, pourquoi cette mentalité ? » Et puis, tous en chœur, les artistes affirment : « Nous avons décidé de rentrer sur Alger le jour-même, puis, à l'unanimité, nous nous sommes ravisés, surtout que le secrétaire général et le chef du cabinet de la wilaya se sont excusés pour ce contretemps et ont tout fait pour rectifier le tir. Et puis, nous avons beaucoup de respect pour le président de République, qui nous a d'ailleurs accueillis dans la soirée. Et c'est de bon cœur que nous avons rejoint la magnifique ville de Maghnia. » Je regarde autour de moi, Adjaïmi, comme lisant dans mes pensées, intervient : « Les femmes sont restées à Tlemcen. » Je chuchote à l'oreille de Kouiret : « Kech film j'did ? » J'ai su que tous les artistes présents avaient des projets « et la famille Ramdam ? » rappelais-je à Sid Ali. « J'ai demandé à ce qu'on rachète les droits, mais on a fait la sourde oreille. » Amer, Kouiret n'en dit pas plus. Mohamed Khalidi, réalisateur de télé algérien vivant en France, semble en communion avec Adjaïmi et Kouiret. Cinéma Paradiso « Des projets de films en perspective ou quoi ? » Pour toute réponse, un rire strident du metteur en scène, « pour être honnête , nous avons été touchés dans notre amour-propre, Blaoui Houari a pleuré et il a dû prendre un taxi pour rentrer chez lui, nous ne devons pas passer sous silence cet incident, mais tout est rentré dans l'ordre, surtout que le petit peuple de Tlemcen et de Maghnia nous a fait tout oublier avec son accueil et sa chaleur. Remerciez, aussi, le personnel de La Tafna pour son professionnalisme et son accueil... » A 13 h 30, ces vaillants artistes quittent Maghnia en direction de l'aéroport. Moments difficiles. « Nous reviendrons, chers amis ! », disent-ils, gais. Sacrée journée !