Le moudjahid revenait de loin. J'abordais alors la vie active dans ce secteur - la télévision - qui était déjà son jardin d'élection. C'était il y a près de 40 ans. Les lunettes rieuses donnent souvent le change, les binocles de Hachemi irradiaient la bonté et le bonheur d'être. Sa modestie, sa sagesse, son sens de la convivialité, sa disponibilité aux autres, son amour de la vie... Tout cela accompagnait des convictions tranquilles, des engagements forts dans les affaires de la cité. Il s'y est consumé. Sa grandeur d'âme, son sens du dialogue ont su venir à bout des dogmes tenaces - devenus obsolètes - qui accablaient son parti. Il avait senti tourner le vent de la rumeur du monde : il se fit un devoir de transformer le parti sans le changer. Il a su ouvrir des fenêtres sans renier les valeurs et les principes. Le dernier souvenir que je garde de ce prince des prolétaires, que j'ai connu lorsqu'il maniait la caméra comme on brandit une arme, c'est celui d'une vieille « R4 » brinquebalante. Chaque semaine, il tenait à cette rencontre : aller déjeuner chez La Mère canard. Pas de voiture de service, rien d'officiel à une époque où la « mahshasha » faisait des siennes. Il venait gentiment me chercher au Palais du gouvernement et, déclinant mon offre de le conduire, insistait pour me transporter dans sa guimbarde. Le trajet nous menant à Dely Ibrahim fournissait l'opportunité de passionnantes - et passionnées - discussions politiques qui ne s'épuiseront jamais. Au final, je retiens une préoccupation première qui confinait à l'obsession chez cet homme de fidélité et de loyauté : le sort des vieux compagnons du parti et de leur famille. Malmenées par les aléas politiques, massacrées parfois dans leur existence en raison de leurs engagements, ces personnes méritaient et méritent réparations aux yeux de Hachemi. C'est un des messages de dignité que nous lègue l'homme. Puisse-t-il, post mortem, être enfin entendu par les autorités. Sid Ali Hattabi