Le projet de « Charte pour la paix et la réconciliation nationale », annoncé dimanche dernier par le Président Bouteflika, a été publié, hier, dans le Journal officiel, annexé au décret présidentiel n°05-278 portant convocation du corps électoral pour le référendum du jeudi 29 septembre. La révision exceptionnelle des listes électorales débutera le mercredi 17 et sera clôturée le 24 août. La campagne référendaire inédite pour une amnistie qui ne dit pas son nom commence ainsi. La question à laquelle devront répondre les Algériens par un « oui bleu » ou un « non blanc » est : « Etes-vous d'accord sur le projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui vous est proposé ? » Le projet de charte s'étale sur quatre bons feuillets. Dans le préambule, le Président Bouteflika condamne le « terrorisme barbare qui a endeuillé le peuple algérien durant une décennie ». Il considère que ce même terrorisme a été combattu par « la grâce d'Allah le Tout-Puissant et Miséricordieux » et « vaincu par le peuple algérien ». Il explique que « la réconciliation nationale est une attente réelle du peuple » et que ce dernier « sait avec certitude » que ce projet est « porteur » d'espoir et qu'il « est de nature à consolider les atouts de l'Algérie ». Il fait l'éloge de la politique de concorde civile ainsi que celle de la rahma qui ont « permis de briser l'entreprise diabolique visant à faire imploser la nation ». Il précise aussi que ces politiques ont permis d'« épargner des milliers de vies ». Il n'évoque cependant pas le bilan de celles-ci pour étayer son constat verbal par des arguments concrets. Le Président Bouteflika fait l'impasse aussi sur les repentis qui se recyclent dans les activités criminelles. Le préambule est « noria » d'éloges sur le peuple. Des éloges flattant les sacrifices des Algériens en leur en demandant d'autres. Le texte de la charte est scindé en cinq fragments. Le premier est un hommage à l'Armée, aux forces de sécurité et aux Patriotes qui « ont permis de sauver l'Algérie ». Viennent ensuite les huit mesures destinées à consolider la paix. La première mesure est « l'extinction des poursuites judiciaires à l'encontre des individus qui se sont rendus aux autorités depuis le 13 janvier 2000 (date de la forclusion des effets de la loi portant concorde civile) ». Elle a un effet rétroactif. Aussi, elle n'est pas limitée dans le temps. Comme le reste des dispositions prévues dans cette charte. Le chef de l'Etat prévoit, comme deuxième mesure, « l'extinction des poursuites judiciaires à l'encontre des individus qui mettent fin à leurs activités armées et qui remettent les armes en leur possession ». Cette mesure exclut les individus qui sont impliqués dans « les massacres collectifs, les viols et les attentats à l'explosif dans les lieux publics ». Mais comment l'Etat pourrait faire la distinction entre ces deux catégories de criminels, alors qu'il ne possède pas, jusqu'à présent, de bilan exact du nombre de morts pendant cette « décennie rouge » ? Abdelaziz Bouteflika n'a, sûrement, pas de réponse. Encore, la même mesure place les viols au même titre que les massacres collectifs, alors que les « crimes individuels », comme les assassinats des journalistes et beaucoup d'autres intellectuels (parfois devant leur domicile), sont inclus dans le chapitre des « crimes pardonnables ». A juste titre. Dans le code pénal, la loi prévoit des peines plus sévères à l'encontre des responsables de meurtres (individuels ou collectifs) qu'à l'encontre des responsables des viols. Dans ce magma, la conclusion est que même l'exception faite à ce niveau subira, de fait, un pardon inédit, qui sera justifié, par la suite, par l'impuissance de l'Etat d'identifier ces personnes responsables de massacres collectifs, de viols... Autres mesures, l'extinction des poursuites judiciaires à l'encontre des individus recherchés, des condamnés par contumace et des individus impliqués dans des réseaux de soutien au terrorisme. Et grâce pour les individus condamnés et détenus pour des actes de violence. Bien sûr, toutes ces mesures font exception des cas susmentionnés. Là aussi, un meurtre n'est-il pas un acte de violence ? La huitième mesure comprend toutes les catégories qui risquent de ne pas être classées dans les sept premières mesures d'amnistie. Elle prévoit « la commutation et la remise de peines pour tous les autres individus condamnés définitivement ou recherchés qui ne sont pas concernés par les mesures d'extinction ou de grâce énoncées ci-dessus ». Le texte ne précise pas si les personnes recherchées ont été condamnées par contumace. Dans le cas contraire, peut-on commuer une peine qui n'a pas été prononcée ? Le chapitre concernant « Les mesures destinées à consolider la réconciliation nationale » clôt le dossier du FIS dissous et met fin définitivement à toute éventuelle reprise de l'activité politique par les ex-chefs du FIS dissous. Le traitement réservé au dossier des disparus n'est qu'un classement sans appel. Sans vérité et sans justice. Le Président rappelle l'importance du dossier des disparus qui retient l'attention de l'Etat depuis une décennie et suggère un traitement approprié. Lequel ? Il classe les disparus dans le chapitre des « victimes de la tragédie nationale ». Il rejette, au nom du peuple, « toute allégation visant à faire endosser par l'Etat la responsabilité d'un phénomène délibéré de disparition ». Il refuse aussi que « les actes répréhensibles d'agents de l'Etat (...) ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l'ensemble des forces de l'ordre ». Cela veut dire que le vœu - ou plutôt la revendication - des familles des disparus, à savoir « vérité et justice », ne sera jamais satisfait. En tout cas, les disparus ne sont pas dans « la poche » du Président Bouteflika, pour reprendre une de ses rares déclarations sur la question des disparitions forcées. Ainsi, l'Etat prendra toutes les mesures appropriées pour permettre aux ayants droit de « transcender cette terrible épreuve dans la dignité ». Les ayants droit ont aussi droit à réparation matérielle. Enfin, dans la charte, il est écrit : « Le peuple mandate le président de la République pour solliciter, au nom de la nation, le pardon de toutes les victimes de la tragédie et sceller ainsi la paix et la réconciliation nationale. » Il aura les coudées franches de prendre les mesures et dispositions inhérentes à la concrétisation de cette paix et cette réconciliation.