Si Mohamed, de son vrai nom Djillali Bounaâma, a été un brillant chef politique et militaire qui a participé de manière directe au règlement de la plupart des dossiers épineux de la Wilaya IV. Déterminé et ayant une bonne formation politique, il a réussi à faire face à des situations extrêmement délicates pour les renverser à l'avantage du FLN-ALN. Malgré un physique fragile - il avait été tuberculeux -, il tint six années au maquis, prenant de la responsabilité à mesure que le temps passait jusqu'à assumer le commandement de la Wilaya IV à la suite de l'affaire Si Salah. Mohamed Bounaâma est né en 1926 en plein cœur de l'Ouarsenis, à Molière, une localité isolée, située en altitude, très pauvre, rebaptisée Bordj Bounaâma après l'indépendance. C'est dans cette région montagneuse dont la rudesse imprégnait les hommes que Si Mohamed a passé son enfance. Au Sud, les plaines du Sersou - vers Tiaret et Tissemsilt - avaient été confisquées par les colons. Sa tribu, les Beni Hendel, avait été totalement dépossédée. Au Nord, seule la mine de Boucaïd, à quelques kilomètres, offrait une perspective aux habitants de la région : passer douze heures par jour sous terre pour un salaire de misère. C'est dans cet environnement que Si Mohamed effectue des études primaires. Une scolarité sans importance, car très tôt elle cède le pas aux activités nationalistes. Il suit alors la filière traditionnelle PPA-MTLD-OS. Membre du MTLD, il devient responsable de la section de Boucaïd. Il voyage, prend des contacts, se rend souvent à Chlef, à Oran et à Alger, où il noue des contacts avec les militants, entretient des réseaux. Il atterrit tout naturellement à l'OS, fait l'apprentissage de la clandestinité, s'initie à l'organisation militaire. Arrêté puis libéré, il récidive. Il se lie aux mineurs de Boucaïd, où les conditions de travail sont particulièrement difficiles dans la mine de plomb. Isolés, coupés du monde, les mineurs s'engagent, en 1951, dans une grève éprouvante, dont le principal animateur était Si Mohamed. La grève dure cinq mois. Elle lui révèle ce que sont la patience, l'isolement, lui apprend à tenir bon et à s'accrocher dans les moments les plus durs. Dans la crise du MTLD du début des années 1950, Bounaâma reste indécis. Il participe au Congrès de Hornu, en Belgique, en 1953, et en revient perplexe. Lui-même est partisan de la lutte armée et se rend bien compte que si les Centralistes sont engagés dans une lutte d'appareils sans issue, Messali Hadj est dans une dérive encore plus dangereuse. Il prend ses distances. Si Mohamed est arrêté dès les premiers jours de novembre 1954. Il n'avait pas participé directement à la préparation du 1er Novembre. Les policiers venus l'arrêter lui glissent un pistolet dans la poche. La preuve est ainsi fabriquée si nécessaire. Relâché en 1955, il est assigné à résidence à Oran. Il voyage clandestinement et se rend à Chlef, où il reprend contact avec l'organisation. Il rencontre Baghdadi (Alili), chef de la Zone 3 et plonge dans la lutte armée. Ils accomplissent un remarquable travail d'organisation et de structuration dans le Dahra et l'Ouarsenis et dans la plaine du Chéliff. Il fait face aux groupes militaires qui s'implantent dans la région avant l'ALN. Alliant diplomatie et persuasion, il parvient à établir l'ALN comme seule organisation militaire du peuple algérien. Messalistes, groupe de Masmoudi sont réduits ou intégrés à l'ALN. Au printemps 1956, le travail est achevé. Il prend lui-même la tête du commando Djamel qui attaque le cantonnement de Kobus, qui venait de créer une milice dans la région de Zeddine. Il poursuivra l'action jusqu'à l'élimination de Kobus et le ralliement de ses hommes. Il doit aussi affronter les hommes du bachagha Boualem, un peu plus à l'ouest, Beni Boudouane. Membre du Conseil de zone en fin 1956, d'après les nouvelles structures décidées par le Congrès de la Soummam, avec le grade de lieutenant. Militaire, il met sur pied des unités aguerries, qui allaient se lancer dans l'attaque des unités françaises, harceler les cantonnements, les convois motorisés dans le Dahra, sur les Monts du Zaccar, de Ténès, de Theniet El Had à l'Ouarsenis. L'insécurité était totale pour les colons dans la plaine du Chéliff, aux abords des villes comme Tissemsilt, Chlef, El Khemis, Miliana et Aïn Defla. Si Mohamed est promu aux fonctions de Chef de la Zone 3 durant l'été 1957 pour succéder à Baghdadi. Une vaste région qui couvre la vallée du Chéliff, tout le massif de l'Ouarsenis, une partie de la plaine du Sersou, le massif du Dahra. Elle s'étendait du nord de Ténès à Tipaza, au Sud de Letournaux à Ammi Moussa. Méthodique, il alternait action politique et activité militaire, s'attaquant aux symboles de la colonisation, maintenant une activité militaire régulière ponctuée de grands coups d'éclat destinés à frapper l'opinion. De grandes opérations furent préparées et exécutées sous ses ordres directs, comme la destruction d'une unité motorisée près de Narbot, l'anéantissement d'une compagnie de cavalerie au nord-ouest de Theniet El Had et la capture de son chef, l'occupation du village Souk El Had, un coup de main à Lamartine (Karimia), où une trentaine de militaires ont été faits prisonniers. Il dirige lui-même le bataillon opérationnel de l'Ouarsenis qui tend une embuscade au convoi circulant sur la route Chlef-Bordj Bounaâma, durant lequel deux avions ont été abattus. Il entre au Conseil de la Wilaya IV en 1958, comme chef militaire, aux côtés de Si M'hamed Bougara et Si Salah. C'est à ce titre qu'il fait face à une opération éprouvante, l'opération Couronne, déclenchée par l'armée coloniale pour tenter de venir à bout des maquis de la Wilaya IV. Plusieurs dizaines de milliers de soldats, des centaines d'avions, des hélicoptères sont mis en branle. Le combat dure plusieurs semaines et s'étend sur tout l'Ouarsenis. Si Mohamed ordonne l'éclatement des unités en petits groupes et leur fixe des objectifs : dégarnir les montagnes, harceler les arrières des troupes françaises, investir la plaine et les faubourgs des villes, procéder au harcèlement des centres urbains. A la mort de Bougara, le 5 mai 1959, Si Salah prend la direction de la wilaya, et Si Mohamed reste son adjoint, jusqu'à l'affaire de l'Elysée. En fait, la wilaya est dirigée de manière collégiale, les hommes ayant fini par former une équipe qui se complète. Ils font face, dans les années 1959 et 1960, à des épreuves difficiles. Ce sont les premières années après le retour de de Gaulle, avec une pression militaire permanente, aggravée par le dénuement de la Wilaya IV et l'absence de ravitaillement en armes à partir de l'extérieur. Ils contournent la situation en faisant éclater ses troupes en petites unités et en lançant une offensive politique remarquable dans les villes, avec distribution de tracts, de bulletins d'information et de mobilisation. Il s'adresse notamment aux Algériens enrôlés dans l'armée française, les incitant à la désertion, et obtient d'importants résultats sur ce terrain. C'est d'autant plus important que ces déserteurs ramènent de l'armement, devenu précieux. Quand Alger est confiée à la Wilaya IV en 1960, Si Mohamed est devenu chef de wilaya après l'affaire de l'Elysée. Il dote la capitale d'un Conseil de zone, la six, qui s'étend sur une partie du Sahel et de la Mitidja, et y intensifie le travail politique qui aboutit aux manifestations de décembre 1960. Si Zoubir, de son vrai nom Boualem Rouchaï, officier de la Wilaya IV, meurt lors de ces manifestations. Il dénoue l'affaire de l'Elysée, fait juger et exécuter les auteurs, mais estime qu'il n'a pas d'autorité pour trancher le cas de Si Salah. Celui-ci doit se rendre en Tunisie pour s'expliquer devant le GPRA. Il meurt dans un accrochage en cours de route dans la région de Boumerdès. Si Mohamed était aussi vénéré par les djounoud. Intransigeant sur les principes, il tenait à partager la vie de ses hommes, dont il était très proche. Un journaliste italien qu'il reçut un jour en plein maquis de Chréa fut surpris par la simplicité de son maintien parmi les djounoud. Un de ses frères était détenu depuis 1955. Son père meurt pendant qu'il est au maquis. Sa mère est tuée dans un bombardement dans l'Ouarsenis. La maison familiale avait été rasée au moment où Si Mohamed avait rejoint l'ALN. Si Mohamed choisit de se rapprocher des villes. Il installe les services de transmissions, de propagande et d'information en plein cœur de la Mitidja, avec un PC à Blida. C'est à partir de là que les grèves et les manifestations de juillet ont été préparées et organisées. Du 1er au 5 juillet, des manifestations se déroulent de Chlef au Sahel. C'est de là aussi qu'il organise un transport d'armes de guerre en provenance de l'extérieur et met sur pied un réseau de boîtes aux lettres avec le GPRA, via l'Europe. Si Mohamed et trois compagnons se trouvent dans un PC à Blida, le 8 août 1961, dans la ferme des Naïmi, quand ils sont encerclés par des unités d'élite de l'armée française, dépêchées de Corse. Il s'agit d'un régiment de parachutistes, le 11e régiment de choc, rattaché à la présidence du conseil. Le combat est désespéré. Ils réussissent à brûler tous les documents en leur possession et résistent plusieurs heures. Ils succombent vers minuit. Quatre hommes de la Wilaya IV tombent : Si Mohamed, Si Khaled - chef de liaison de la wilaya - Si Abdelkader, opérateur radio, et le jeune Mustapha Naïmi, fils du propriétaire de la ferme. Mohamed Teguia, responsable du service propagande et information, blessé grièvement, est fait prisonnier avec deux autres militants, membres de la famille qui hébergeait le PC.