Les journées culturelles polonaises ont fait planer, samedi dernier, l'ombre de Witold Gombrowicz sur le café théâtral de la Bibliothèque nationale à Alger avec des lectures croisées de ses textes traduits en arabe et en français. Soumis à la brise de l'été finissant aux abords du Jardin d'essais du Hamma, le metteur en scène polonais, établi en France, Tomasz Bialkowski a lu des extraits de Moi, Gombrowicz, son adaptation au théâtre de Journal, dont une partie a été publiée au début des années 1950 dans la revue Kultura à Paris. Pour sa part, Nadir Hocine a lu la traduction à l'arabe de le Mariage (1947). Tomasz Bialkowski a commencé sa lecture par des extraits de Bakakai (1957). Gombrowicz y parle de sa propre conception, à la lumière du souvenir qu'il garde de la relation entre ses parents. « On m'a conçu dans une sorte de contrainte, les dents serrées », écrit-il. Journal, « cette forme si ample et si existentielle, qu'elle l'emportera sans doute sur le récit contemporain », est un ouvrage de 1500 pages que l'auteur a achevé avec sa mort. Les extraits, que Tomasz Bialkowski a utilisés dans son adaptation au théâtre, concernent les séjours de l'auteur à Paris et à Berlin (1963-1964). Gombrowicz y fait part de ses réflexions sur le climat mondain en cours dans la métropole française et de sa rencontre avec les Berlinois, à 100 km de son pays qu'il ne rejoindra jamais. Déraciné convaincu, Gombrowicz a passé 24 ans de sa vie en Argentine. Il quittait l'Europe dans une effervescence qui allait poser les piliers d'une Deuxième Guerre mondiale. « En ces temps d'avant-guerre, les gens devenaient bizarres. Les hitlériens, les communistes se composaient un visage menaçant, la fabrication des fois, des enthousiasmes et des idéaux égalaient la fabrication des canons et des bombes. Ces années de pré-guerre furent plus ignominieuses peut-être que la guerre elle-même », écrivait-il. A son retour, Gombrowicz traque Hitler dans son âme propre. « Je devais porter en moi tous leurs crimes », écrivait-il parlant des nazis et de leurs entreprises d'extermination. « Vous pouvez vaincre le mal mais seulement en vous-même », ajoutait-il plus loin. « C'est grâce au théâtre que la Pologne a pu passer sa période trouble », a lancé le metteur en scène lors de la rencontre de samedi dernier. Le théâtre, exercice social pour sortir de la crise ? Witold Gombrowicz, après des années de censure dans son pays, compte, dans la Pologne contemporaine, comme lecture obligatoire. Les écoliers polonais connaissent, sous le sceau de la contrainte, cet auteur. La même chose ne peut toujours pas être appliqué à Kateb Yacine en Algérie. « Si les Algériens l'avait lu à l'école, ils n'auraient pas basculé dans l'horreur des années 1990, parce que grâce à cela ils auraient au moins su qui ils sont », tire un écrivain en herbe. Les journées culturelles polonaises proposent une somme de manifestations dans différents espaces de la capitale, à Oran et à Tizi Ouzou.