C'est parce qu'il a été privé de l'amour de sa cousine Ezerga (la brune) que Kaddour, à la fleur de l'âge, décide de quitter le pays. Il ira à la rencontre d'un monde à la fois hostile et séduisant. Juliette plus âgée que lui le découvre, c'est un amour « naïf, naturel et sans artifice » qui va éclore. Synthèse sur planches d'une vie à deux, la pièce retrace vingt ans de mariage mixte entre une syndicaliste de l'Hexagone et un travailleur émigré épris d'elle, mais qui de désillusion en déchirement sombre dans l'alcool et ne sait alors que faire : retourner au bled auprès de sa première épouse, sa cousine Ezerga, ou supporter une pénible incompatibilité d'humeur qui se fait jour ? S'efforçant de décortiquer le terrible dilemme, forcément tragique, auquel nombre de compatriotes expatriés sont confrontés ; auteur et metteur en scène ont procédé à un étirement de la pièce (1h35), voulant ainsi tout faire dire à un duo à qui manquait l'indispensable feeling qui sied à ce genre de situation. Le texte mal débité et truffé de redondance en fera un spectacle figé que les hésitations et la lenteur des comédiens rendront lourd et embrouillé, voire désaxé. Ça aurait pu être autrement, car le spectacle offre réellement plusieurs grilles de lecture - ce qui est en soi intéressant - en esquissant non pas le portrait sans cesse ressasser de l'émigré déraciné perdant son identité culturelle, mais celui d'une épouse otage d'un modèle de vie qu'elle s'est imposé « imprudemment ». Juliette, en effet, se retrouve à la fin de l'histoire toute seule : ni amis, ni parents, ni même ses anciens camarades de lutte syndicale. Rejetée par son environnement « naturel ». Au départ, c'est pourtant elle qui veut à tout prix quitter Kaddour, interprété par Soualil Ahmed, devenu un époux invivable, s'abandonnant à un prolétarisme éthylique. Puis, retournement de situation : alors que la syndicaliste renonce à toutes ses revendications se résignant à coexister avec lui, l'ouvrier mal-aimé décide en revanche de rejoindre Ezerga de sa jeunesse. « Prolétaires du monde excusez-nous ! », déclamera Juliette avant de se lancer dans une longue et parodique remise en cause qui débroussaillera 20 ans d'existence, d'amour et de combat. Fatalité ou accommodation, Kaddour est toujours là, à défaut de retourner là-bas. Ils sont, finalement, tous deux coincés dans le prolongement de deux histoires anodines qui se sont entrecroisés à l'autre bout de la mer. La pièce est presque terminée. Un technicien de la radio locale traverse la scène pour récupérer son micro disposer à l'extrémité des planches. Violation de l'espace scénique. Le public applaudit. Le spectacle qui vient de se terminer, bien sûr. « C'est juste une histoire, pas forcément une histoire juste », décrira, à la fin du spectacle Ali Nacer, auteur du texte. Le metteur en scène, Lahbib Mejahri, promet de parfaire les mécanismes et de ramasser encore le texte. Kaddour et Juliette feront le voyage ensemble dans l'ouest, à Mascara puis à Aïn Témouchent le 23 octobre.