L'amour, cette petite flamme qui anime les passions et peut conduire l'être à sa perte, a été le thème central de ce palimpseste d'après Roméo et Juliette, joué samedi et hier soir au TNA devant une assistance conquise d'avance. Réactualisée, cette nouvelle et énième adaptation de l'oeuvre de Shakespeare est assurée par le metteur en scène Dominique Touzé qui dirige une jeune compagnie, le Wakan Théâtre en France. L'auteur de cette libre et impertinente version de Roméo et Juliette compte à son actif une douzaine de spectacles qui, depuis 1995, tournent régulièrement en France et à l'étranger. Parmi eux des palimpsestes ou des appropriations très personnelles d'oeuvres du répertoire classique comme La dernière des fourberies, (d'après Molière), Des Troyennes (d'après Euripide), Amer savoir (d'après Cendras) ou Oraisons (d'après Ronsard et Bossuet). C'est en 1998, après une tournée en Italie du Sud que l'idée de travailler avec des acteurs d'une autre culture et dans une langue étrangère a germé dans sa tête. C'est ainsi qu'une nouvelle aventure humaine est née avec une nouvelle mise en scène des Maudits à Vérone avec une équipe d'artistes du Grand Maghreb. L'intrigue qu'on connaît déjà est appuyée par le jeu remarquable des acteurs. Quatre comédiens, quatre personnages performants et émouvants, qui défilent sous nos yeux. Deux sont inventés de toutes pièces par le metteur en scène qui crée l'événement en apportant à cette création un souffle tout à fait novateur, création présentée à l'initiative du CCF, samedi et dimanche au TNA. Clarisse, la cousine et confidente de Juliette est Algérienne, le rôle est campé par notre Sonia, la magnifique, et le vilain et perfide diacre est interprété par un Français au physique charismatique au crâne nu, Jean-Louis Debard. Ce dernier a dû, pour les besoins de la pièce, relever le défi d'apprendre l'intégralité de son texte en arabe littéraire. Car, faut-il le préciser, la pièce est jouée à 80% en arabe classique mêlé à un peu de français. Deux langues qui se chevauchent et s'épousent d'une manière assez étrange, mais qui passe quand même. Ce qui donne à la pièce cette dimension à la fois littéraire et poétique. Roméo Montaigu, quant à lui, est joué par un jeune Tunisien, Mohamed Marouazi et la belle Juliette est une comédienne Marocaine qui s'appelle Houda Hamaoui. La pièce a la particularité, outre la langue, de rassembler une pléiade de comédiens issus des différents pays du Bassin méditerranéen. Forte du succès qu'elle a obtenu dans l'Hexagone, elle se lancera prochainement dans une tournée à travers tous ces pays cités plus haut. L'action de la pièce se déroule sur une île imaginaire sur laquelle pèse une grave malédiction: Vérone, «Une cité maudite, qui tue ses innocents». En toile de fond toujours la même trame autour de laquelle se tissent les sales cabales et les vils dessins... Deux familles qui se déchirent et se haïssent depuis la nuit des temps. D'un côté, les Capulets de l'autre les Montaigu. Mais ironie du sort, Juliette, une Capulet va s'éprendre d'un Montaigu! Roméo. Et le rêve idyllique finit vite par se transformer en cauchemar. Ne dit-on pas que l'amour est aveugle et que la passion nuit? Lors d'une dispute entre les deux clans, Roméo tue Tybalt, le cousin de sa soupirante. Ce qui ne fait qu'aggraver son cas. Maudit qu'il est pour l'éternité. Pour la fin de la pièce Dominique Touzé a choisi un dénouement autre que celui que l'on croit. Le religieux qui consentait au départ à marier les deux jeunes amants, seulement dans la perspective de devenir évêque après avoir rompu le sort entre les deux familles, finit par tuer Juliette en l'empoisonnant. Et c'est Clarisse, sa fidèle confidente, qui l'accompagne en la suivant dans l'autre monde. Tandis que Roméo ne peut aller jusqu'au bout de ce que lui dicte son coeur. Il préfère rester en vie plutôt que de rejoindre celle qu'il aimait. «Je ne peux pas!», dit-il lâchement, la fiole de poison entre les mains. Ici l'analyse est toute faite et traduit la vision féministe qu'a voulue le metteur en scène pour la pièce. Les femmes sont plus fortes que les hommes, plus déterminées dans leurs sentiments. «C'est l'expérience qui dit ça», affirme Dominique Touzé. La pièce est constamment traversée par des moments de tension suggérés déjà par cette atmosphère angoissante et soutenue par ce jeu de lumière clair-obscur, de la bougie notamment qui contraste avec le noir qui emplissait l'espace. Le noir qui plonge la nuit dans les brumes des ténèbres. Cette nuit qui ne veut apparemment pas se lever car assassinée, symbolisée ici par Juliette. Le voile mélodramatique qui enveloppe la pièce est traduit musicalement par la voix enchanteresse de Sonia M'barek qui interprétera trois chants tirés du répertoire malouf et tarab. Le drame finissant de prendre forme est porté à son paroxysme par les rythmes effrénés des sonorités rock. Les deux acteurs Houda Hamaoui et Mohamed Marouazi ont su charmer le public par leurs gestes plein de candeur et d'espièglerie qui respirent l'amour de jeunesse. Bouleversante dans son jeu de scène, Sonia a, quant à elle, su se distinguer encore une fois par son éloquence et sa prestance. Emouvante, elle a été également Juliette dans ses épanchements amoureux ou malheureux. Debard, un peu relégué au second plan, s'est tout de même imposé par sa stature et n'a suscité que plus l'intérêt du public qui était scotché à ses lèvres pour mieux saisir son texte dit difficilement en arabe littéraire. Bref, Maudits à Vérone, histoire touchante d'un amour impossible est un sujet qui fascine car toujours d'actualité, où chacun pourrait s'identifier.