Cinéma et villégiature sont deux activités différentes. Mais, parfois, elles vont bien ensemble. Exemple : au festival de Locarno, on peut s'emballer dès le matin pour quelques titres au programme fort intéressants, des films d'Asie centrale, la rétrospective Lubitsch, l'art du Suisse Alain Tanner ou du Napolitain Francesco Rossi. t l'après-midi, trouver le temps tellement beau pour oublier la fête du cinéma et aller se dorer au soleil sur les rives du lac Majeur, sans hésiter à nager dans son admirable eau claire. Cette vie (exténuante) du critique de cinéma a duré les sept premiers jours du festival, puis les orages et la pluie sont venus gâcher le plaisir... Le vainqueur, cette année, c'est le cinéaste et poète chinois, Li Hongqi, qui a décroché le Pardo d'Or du 63° festival de Locarno pour son film Han Jia, douloureuse chronique des vacances hivernales de jeunes adolescents désœuvrés dans un village du nord de la Chine et Khouya (Y. Koussim), prix du jury jeunesse. Olivier Père, venu de la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, s'est coulé dans le rôle de directeur artistique à la place de Frédéric Maire, journaliste helvète, parti à la cinémathèque de Lausanne. Qu'est-ce qu'il fallait entendre comme plaisanteries cet été en Suisse sur le fait que c'est Père qui remplace Maire (autre variante : c'est la «mère qui a donné naissance au père», etc.). Les Suisses sont des rigolos. Olivier Père a choisi une nouvelle orientation au festival, supprimé des sections inutiles, raccourci le programme (280 films cette année au lieu des 397 en 2009), renforcé la présence médiatique avec 875 journalistes accrédités et profession-nels, 900 cinéastes, acteurs, producteurs et acheteurs. 150 000 spectateurs ont payé leur entrée, des spectateurs très motivés pour rester stoïquement assis sur la Piazza Grande sous l'orage un soir où passait un film américain de la catégorie «horreur»... Cette fidélité du public suisse a causé des ruées aussi sur des salles de 3000 places (des gymnases aménagés où on est mal assis, mais où les projections sont parfaites) pour voir les films de Rohmer, Fassbinder et toute la sélection. Des banques suisses, des firmes privées, des marques de boissons, mais aussi l'Etat aident beaucoup le festival de Locarno, lequel est également une entreprise de promotion du cinéma national. Une bonne sélection suisse, plus documentaire que fiction, a provoqué autant d'engouement que de polémiques suisso-suisses. Du genre : que faut-il produire ? Un cinéma populaire ou un cinéma pour cinéphiles purs et durs ? Des grosses machines ou des petits films ? Des locomotives ou des wagons de première ? On assiste chaque année à ces débats sans fin et on a l'impression que le responsable du bureau du cinéma au niveau du Conseil fédéral suisse n'en a pas pour longtemps, qu'il est assis sur un siège éjectable. L'année d'après, les mêmes joutes recommencent, avec une nouvelle tête dans le rôle de «Monsieur cinéma suisse», rôle plus qu'éphémère certainement. Tous les Suisses (en tout 7 millions) ont des rêves impossibles : avoir un cinéma qui leur rappelle les années fastes quand Tanner, Soutter et Murer alignaient quelques surprenants chefs-d'œuvre. Le 63° festival de Locarno a donc renoué avec la traditionnelle rétrospective des grands auteurs. Revoir quelques-uns des films qu'on a appelés The Lubitsch Touch, c'est plonger avec le sourire de Gréta Garbo, Ninochtka, dans un monde de passion amoureuse, de plaisir sophistiqué, de goût inimitable de l'intrigue et de l'espionnage. Tout ça dans Trouble in Paradise, The Shop around the Corner, To Be or Not To Be... Tous les matins, les Lubistchiens couraient à la salle Rex. La partie des films muets d'Ernest Lubitsch était la plus suivie. Une Nuit d'Arabie (1920) se passe dans un harem à Rome avec Pola Négri, l'actrice fétiche de Lubitsch. On a vu aussi Carmen, Gypsy Blood (1918), Madame DuBarry (1919), avec Emile Jannings, grand acteur muet allemand, dans le rôle du roi Louis XV, dont la DuBarry était la flamboyante maîtresse. Les copies étaient restaurées, de très bonne qualité. Il n'y avait pas de problème de langue, les cartoons sont bien traduits. Une note personnelle dans la rétrospective, avec la présence à Locarno de Nicole Lubitsch, fille du réalisateur d'origine russe émigré à Hollywood. Elle a dit que son père n'était pas drôle du tout. C'était un homme sévère, strict qui surveillait attentivement son éducation. Elle avait 8 ans quand son père a fait Ninotchka, avec Gréta Garbo. Ses copains à l'école voulaient voir plutôt Gary Cooper...