Tandis que le reste de l'Europe continue à subir les coups de boutoir d'une vertigineuse crise financière, la Suisse paraît bien épargnée pour l'instant. Locarno (suisse) de notre envoyé spécial Loin des tumultes boursiers des pays voisins et de joutes bancaires aux réunions au sommet de Bruxelles, il règne ici, dans cette cité de Locarno, extrêmement belle, baignée par les eaux tranquilles du Lac Majeur, une atmosphère d'insouciance où les humeurs de l'Europe ne pénètrent qu'à des doses infinitésimales. C'est que ce coin paradisiaque du Tessin suisse est l'archétype de l'endroit où l'argent coule à flots. Ce n'est partout qu'un étalage de boutiques de grand luxe, de montres hors de prix, de gadgets électroniques, de vêtements et de chaussures de grandes marques. Locarno, comme Zurich probablement, dort et s'éveille sous un tapis de fric où les banques helvètes accumulent l'argent du monde entier comme des fleuves grossissants. Mais Locarno, c'est aussi la tenue du prestigieux Festival international du film qui réunit, sous la houlette d'Olivier Père, la meilleure production cinématographique mondiale. On se demande après ça, ce qui reste à montrer pendant cet été aux autres festivals. Pour le Léopard d'or, grand prix du Festival doté de 90 000 francs suisses, il y a 19 œuvres en compétition internationale venues du monde entier, d'Australie, d'Amérique latine, de Corée du Sud, du Portugal, du Japon ou d'Italie... D'autres sections : Cinéastes du présent, Léopard de demain, Semaine de la critique, Appellation suisse montrent aussi un grand nombre de films dignes d'un grand festival. Après avoir consacré une rétrospective à Youcef Chahine de son vivant, à Nanni Moretti, Abbas Kiarostami, Aki Kaurismaki, Vincente Minelli, entre autres auteurs célèbres, la rétrospective cette année programme l'œuvre de l'Américain Otto Preminger (1905-1986), avec Rivière sans Retour, Bonjour Tristesse, Anatomy of a Murder, Fallen Angel... Précédé de bruits très flatteurs par ceux qui l'ont vu déjà, il y a au Festival de Locarno un film-phare, un classique incontournable. Il s'agit de Lola, de Jacques Démy, qui date de 1961, projeté sur grand écran dans une copie magnifiquement restaurée, tout juste sortie des laboratoires technicolor de Los Angeles. Il faut rappeler l'histoire : ça se passe à Nantes, Lola (jouée par la splendide actrice Anouk Aimée) est une chanteuse de cabaret. Elle attend son amoureux qui un jour débarque d'Amérique vêtu de blanc, au volant d'une rutillante Cadillac. Il a fait fortune. En même temps, le récit entrecroise d'autres histoires, celle notamment de Frankie, un jeune marin américain amoureux fou de Lola. Mais Lola dit : «On n'aime qu'une fois ; pour moi, c'est déjà fait.» Cette œuvre basée sur les jeux du hasard et du destin, jouissive, élégante, très poétique, ce fut le premier pas de Jacques Démy dans le cinéma. C'est un coup d'éclat. Il a fait par la suite d'autres beaux films, notamment la comédie musicale Les Parapluies de Cherbourg. Au Festival de Locarno, ce sont les projections sur la Piazza Grande avec son écran géant qui attire le public populaire, jusqu'à 8000 spectateurs payants quand le film est en langue italienne. Les journalistes, très nombreux représentant de la presse suisse et internationale, ont le choix entre plusieurs salles facilement accessibles : Kursal, Rex, Rialto, Morettina, Févi... Le monde du cinéma suisse va cette année à la rencontre du monde du cinéma africain, grâce au programme d'Open Doors (section de l'Agence suisse pour le développement et la coopération, qui dépend du ministère des Affaires étrangères de Berne). Ce programme risque d'être riche avec la venue de grands cinéastes du continent pour présenter leurs films et parler de leurs projets à une grande conférence : Souleimane Cissé, Idrissa Ouegraogo, Cheikh Oumar Sissiko, Moussa Touré, Gaston Kaboré, J-P Digonke Pipa, Cheikh Fantamady Camara... Les films d'Afrique, ça se fait rare. Peu s'en sortent du labyrinthe et des mécanismes complexes de la production. Sur les rives du Lac Majeur, Yeelen, Samba Traoré, Bal Poussière, Muna Moto, La Pirogue, Wend Kuni ou Gamba seront autant d'emblèmes précieux du cinéma africain qui ne demandent qu'à claquer au vent.