«Je tiens à rendre hommage, ce soir, à l'artisane Houria Bouhi», soulignait par ignorance Naziha Sâadoun, l'animatrice à Canal Algérie, de l'émission «A cœur ouvert» relative à l'Histoire, les traditions, l'artisanat et les patrimoines culturels locaux de la ville de Cherchell diffusée vendredi dernier. Des employés de l'hôpital de Sidi Ghilès (Tipasa) qui suivaient l'émission diffusée en cette soirée du 27 août 2010 étaient émus en assistant à l'admission de l'artisane en question, regard lointain, encore consciente et allongée sur un brancard, vers le bloc de chirurgie pour subir une longue intervention, tard dans la nuit de vendredi à samedi en ce mois de Ramadhan. Pendant une trentaine de longues minutes avant sa prise en charge par l'anesthésiste, madame Bouhi Houria, née un mois de février 1921, venait de faire ses confessions à son fils, surpris et choqué, pour lui livrer ses derniers conseils. Une prémonition. Elle avait consacré 78 ans de sa vie dans l'art de la dentelle à l'aiguille, notamment en fil de lin blanc. «Dès que mes proches me forcent pour m'arrêter de travailler, nous disait-elle, mes doigts fourmillaient. Je ne peux pas me passer de ce travail qui m'a permis de vivre dans le bonheur, malgré les conditions difficiles dans lesquelles j'ai passé plusieurs années de ma vie», ajoutait-elle. La dentellière aux mains de fée reçoit rarement des visiteurs dans son domicile exigu, perché au dernier étage de l'un des bâtiments vétustes de la cité «Marcada». Elle avait orné en plantes vertes toutes les dernières marches d'escalier qui mènent vers son studio. La porte de son «nid» demeure constamment ouverte. Toutes les familles du quartier connaissent «Khalti Houria», une femme tranquille qui ne s'occupe pas de ce qui se passe à l'extérieur de son étroit domicile. Sa notoriété au fil des décennies a dépassé sa ville, Cherchell. Des familles qui préparent les trousseaux de mariage de leurs filles ainsi que des personnalités qui désirent offrir des produits originaux de qualité de l'artisanat algérien se rendent chez Mme Bouhi Houria. Elle se charge des motifs, la conception et la décoration de la dentelle, avant de l'imprégner sur les tissus ou les vêtements. Des familles qui viennent des différents coins du pays et même de l'étranger arrivent volontairement chez l'artisane pour acheter les merveilles de la dentelle cherchelloise. Assise sur son matelas, Houria Bouhi qui gardait toujours en mémoire les coutumes et us des familles algériennes, apporte sa touche personnelle pour convaincre ses clients sur les choix des modèles. Néanmoins, l'artisane s'était constamment inspirée dans sa réflexion des paysages naturels, de la faune et la flore, avant d'entamer son travail sur les maquettes. «Je m'adapte quand même aux besoins des familles selon les périodes et les époques, avouait-elle, les familles des années 40, 50, 60 et jusqu'à nos jours sont différentes dans leurs choix, ajoutait-elle, je dois m'adapter à elles pour leur faire plaisir, et par la suite elles prendront soin de mes produits une fois enlevés. Chacun de mes articles peut raconter son histoire», enchaînait-elle avec son sourire. Houria, une encyclopédie Houria Bouhi était une immense bibliothèque. L'art culinaire, l'Histoire, les personnalités qui avaient marqué leur passage dans la région, les anecdotes, les événements douloureux qui avaient endeuillé les familles algériennes, l'artisane les relatait avec une facilité déconcertante. Les dernières années de sa vie, Houria Bouhi restait scotchée devant le poste de télévision pour s'informer de ce qui se passe au pays et dans le monde, sans pour autant rater les épisodes de ses feuilletons préférés. Des sujets qui lui permettent d'aborder les débats avec ses interlocuteurs. Son état physique ne lui permettait plus d'effectuer les longs trajets pour assister et participer aux expositions des produits de l'artisanat. En lui rendant visite, Khalida Toumi, ministre de la Culture, émerveillée par la qualité de sa dentelle, embrassa respectueusement le front de l'artisane Bouhi Houria. Le membre du gouvernement avait promis d'offrir une «Omra» à la dentellière. Des années sont passées. La promesse s'était diluée dans le temps et n'a, hélàs, pas été tenue. Durant les ultimes instants de sa vie passés dans une salle à l'hôpital de Sidi Ghilès en compagnie de son fils, «ya Karim lui recommandait-elle, je t'exhorte à effectuer un pèlerinage de Hadj aux lieux saints pour moi», ajoutait-elle. Les œuvres de Houria Bouhi sont éparpillées chez de nombreuses familles qui vivent en Algérie et dans certains pays européens. La dentellière aux doigts magiques ne se plaignait jamais des difficultés de son quotidien. Son amour pour son artisanat la plonge dans son univers préféré, la discrétion. C'est dans cette atmosphère que son enterrement a eu lieu lundi dernier. Parmi les quelques membres de sa famille venus au cimetière de Cherchell, la wilaya de Tipasa reconnaissante envers le patrimoine artisanal produit par Houria Bouhi, était représentée par les autorités locales.