Houria Bouhi continue avec ses doigts de fée à décorer les tissus à l'aide de fil blanc et souple.es clients ne sont pas issus de sa ville. Ils viennent de Blida, d'Alger, de Constantine, de Annaba, d'Oran. Mme Houria Bouhi, âgée de 84 ans, vit à ce jour dans un quelconque studio de la cité populaire de Cherchell, Marcada, perchée au sommet de ce bâtiment qui date de l'époque coloniale. Elle continue, avec des doigts de fée, son inimaginable mémoire, à décorer les tissus à l'aide de fil blanc et souple, pour illustrer les merveilles de la dentelle cherchelloise qu'on appelle « ar-rynda », plus connue sous l'appellation « echbika ». L'artisane est aujourd'hui une encyclopédie vivante inconnue, qui reste cachée dans son petit, simple et exigu appartement. Son défaut au yeux de ses enfants, c'est incontestablement son attachement exagéré à la dentellerie. « Dès que je m'arrête de travailler, nous dit-elle, mes mains fourmillent. » La porte de son appartement est ouverte à longueur de journée. En raison de sa maladie, elle préfère rester allongée sur un matelas, histoire de demeurer en « alerte », au moindre appel. Les dernières marches de l'escalier de cette cage du bâtiment sont jonchées d'une variété de plantes vertes ornementales, un décor naturel qui appartient à l'artisane, mais qui permet d'aborder instantanément la discussion dès qu'on se retrouve en face de cette personne qui continue à façonner des objets inédits, mais pas du tout faciles. Son sourire, dès le premier contact, dévoile son bonheur, surtout le fait de demeurer inébranlable dans cette épreuve, de persister dans l'adversité pour être au service d'un patrimoine artisanal en péril. A côté d'elle, nous avons remarqué ses outils de travail et son « chantier » qui venait d'être entamé la veille. Des pelotes de fil blanc et une housse couverte d'un papier jaunâtre sur lequel est dessiné un motif à l'aide d'un fil très fin. C'est la maquette. A propos de motif et de maquette, notre interlocutrice nous fait savoir que le trvail a changé. En effet, le goût des familles de notre époque est différent de celui des familles des années 1940, 1950, 1960, etc. « Je suis obligée de faire évoluer mon travail selon la demande des familles algériennes », nous lance-t-elle. Grâce à cet art, elle a fait vivre sa famille. Mme Houria Bouhi est entrée dans l'univers de la dentelle en 1932, à l'âge de onze ans. En plus des figures géométriques, l'artisane est très douée pour les paysages naturels, les papillons et les oiseaux. Elle maîtrise la forme des points et les dimensions pour chaque maquette. Sur les vestes, la literie, les nappes, les serviettes, les tissus décoratifs, l'artisane adapte ses produits d'art selon les besoins de ses clients. L'histoire de son passé et de son présent dans cet artisanat est relatée avec beaucoup d'anecdotes qu'il faut à tout prix mémoriser pour préserver ce pan de la culture algérienne. Néanmoins, l'artisane, qui n'est pas une habituée des expositions et des manœuvres protocolaires, attend avec impatience la concrétisation de la promesse que lui a faite Mme Khalida Toumi, quand cette dernière lui a embrassé le front, après avoir vu ce que l'artisane produisait chez elle et ayant pris acte de ses prouesses et de la qualité de ses œuvres, en dépit de ses 84 printemps et de sa condition de vie difficile qui l'empêchent de s'éloigner du seuil de son « nid ».