L'ancien président a fait une sortie publique pour le moins inattendue dans une revue japonaise où il affirme que «l'amazighité n'est pas une composante de l'identité algérienne». Le successeur de Boumediène nie avoir été déposé par les militaires en janvier 1992. On savait que le FIS était, en 1991, à deux doigts de prendre le pouvoir, mais que Chadli Bendjedid, à l'époque chef de l'Etat, tienne à le lui servir sur un plateau d'argent, non. Mais on le sait désormais. C'est lui-même qui l'apprend à l'opinion publique. Dans une interview qu'il a accordée à deux chercheurs japonais, publiée dans une revue universitaire, dont le quotidien Liberté a repris hier de larges extraits, l'ancien président révèle que le pouvoir devait accepter un gouvernement du FIS. Selon lui, si le pouvoir avait accepté les résultats des élections, on ne serait pas arrivés à cette dangereuse situation… «Il aurait fallu que nous respections le choix du peuple algérien et donner une chance au Front islamique du salut de constituer son gouvernement.» C'est son refus d'arrêter le processus électoral qui avait poussé Chadli à la démission. Voilà qui est dit ! L'aveu est de taille, mais toute la vérité n'est pas dite. Pour ce faire, il faut alors replacer le débat dans son contexte. C'est un dangereux raccourci que d'affirmer, de but en blanc, que c'est le peuple algérien qui avait donné victoire au FIS. Il suffit, pour comprendre la réalité de cette époque-là, de revenir un peu en arrière et s'interroger sur la naissance du parti dissous en particulier et de la mouvance islamiste algérienne en général. Le sujet mérite une thèse ! L'ancienne formation de Abassi Madani et de Ali Benhadj n'est pas sortie du néant. Tout le monde sait comment l'intégrisme a prospéré sous l'ère Chadli dans les années 1980. Comment l'école et l'université étaient livrées au mouvement islamiste. Le wahhabisme s'est installé en Algérie grâce à la bénédiction du pouvoir de l'époque qui s'en accommodait à souhait pour étouffer la lame de fond démocratique qui travaillait la société algérienne, faut-il le rappeler à l'ancien chef de l'Etat, depuis le printemps berbère en avril 1980. Un mouvement qu'il veut réduire aujourd'hui à une manipulation de l'étranger, citant la France. Ce n'est pas nouveau, c'est l'anathème que voulait jeter, à l'époque, lui, son gouvernement et leurs relais dans la société, sur les luttes démocratiques. Le résultat du FIS était prévisible, l'on est tenté même de dire qu'il était programmé, vu les moyens mis, y compris une répression féroce, pour asphyxier les luttes pour les libertés dont le mouvement berbère était porteur et que Chadli Bendjedid veut réduire, aujourd'hui, injustement – c'est une insulte pour l'histoire – à quelques tribus. Aussi, c'est une contrevérité de se contenter de dire, en expliquant la déferlante du FIS, que la faute incombait au peuple algérien qui se devait, selon lui, d'en «assumer le choix» et ses conséquences. Qui avait livré les mosquées à l'intégrisme ? Ce n'est assurément pas le peuple. Dans les années 1980, c'est-à-dire sous le règne de Chadli, le pouvoir considérait que la menace venait plutôt des militants pacifiques de la démocratie que des promoteurs du wahhabisme qui avaient pourtant démontré que la violence ne pouvait pas être dissociée de leur projet funeste par le biais des maquis de Bouyali et de l'assassinat en 1982 de Kamel Amzal à la cité universitaire de Ben Aknoun. L'ancien chef de l'Etat veut aujourd'hui avoir le beau rôle d'apparaître comme quelqu'un qui était favorable au principe de l'alternance au pouvoir. «J'étais, dit-il, pour le processus démocratique et comme le peuple algérien avait choisi l'autre camp, nous devions lui donner le pouvoir et la possibilité de gérer le pays, mais les membres du FLN ont eu peur et m'ont demandé d'annuler les résultats des élections et de les refaire. J'ai refusé par respect à la Constitution et la promesse que je m'étais donnée quand j'avais juré sur le Coran.» C'est ainsi, soutient-il, qu'il a donné sa démission, laissant un pays livré aux quatre vents. Le FIS qui se dirigeait droit vers le palais d'El Mouradia avait puisé ses forces dans toute la volonté mise par le pouvoir de Chadli, qui l'avait instrumentalisé, d'ailleurs, à castrer les forces démocratiques. Faut-il rappeler, à juste titre, du fort taux d'abstention (41% des électeurs inscrits) qui avait caractérisé les élections de 1991. Dans les conditions que tout le monde sait, le parti dissous, ayant fait la promesse de tuer la démocratie par la voix des urnes, avait bien plusieurs longueurs d'avance. Une mobilisation rendue possible par un scénario qui voulait maintenir la société dans la régression.