Cela remonte à un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. J'étais jeune et beau, il ne faut pas se fier aux photos récentes. Je venais d'avoir ma licence. A 23 ans, j'avais tous mes cheveux et plein d'idéaux. Un vent terrible soufflait sur l'Algérie, des bourrasques de liberté à faire tourner la tête. Plus fort que tous les alcools, on s'enivrait à la liberté. Soudainement, tout devient possible. Plus obligé de lire TVBDM (Tout va bien Dieu merci), El Moudjahid, unique quotidien du parti unique. Dans les nouveaux journaux, il pouvait pleuvoir dans les villes où se rendait le président de la République, sans que le rédacteur en chef ne censure la météo. Dans ma génération, certains optaient pour une forte pilosité, d'autres pour la démocratie. On était encore adversaires, pas ennemis. Et puis, la rencontre, El Watan. Comment devient-on journaliste ? Je n'en avais aucune idée. Un début d'après-midi, un ami, plutôt timide, m'a demandé de l'accompagner à un concours organisé par un journal qui était encore en gestation. Je me rappelle très bien des sujets proposés. J'avais opté pour la politique étrangère. La guerre du Golfe frappait à la porte. Saddam paradait, Bush, le père, menaçait. Quelques jours plus tard, le directeur de la rédaction m'intimait l'ordre de débarquer pour le samedi suivant. J'ai failli dire non à plusieurs reprises, par appréhension. La découverte de l'équipe, des locaux, de l'écriture, des maux d'estomac, de ma première crise d'ulcère. Je cite Omar Belhouchet : bienvenue dans le journalisme. Et me propose du Maalox. C'était le temps de l'insouciance et des scoops. A ce moment-là, il n'y avait pas assez de chaises. Pour les conférences de rédaction, on se débrouillait comme on pouvait. Les plus jeunes debout, prenant des notes. Puis, avec mon chef de rubrique à l'époque, Omar K., on partait faire des razzias de chaises déglinguées. Il y a prescription.C'était une histoire de découvertes et d'amitié. J'ai appris le métier avec Ali Bahmane (je ne veux pas de commentaires, va sur le terrain), Ali si tu me lis…., Omar Kharoum (des reportages, je veux des reportages), Merad (écris en français, je n'aime pas les néologismes), la touche sociale avec Ahmed Ancer (il faut bien expliquer le pourquoi de la situation), et Monsieur Guissem pour défier le quotidien avec son sens de la formule. Sans oublier ma chef actuelle (un peu de chita (brosse), ne fait pas mal et peut faire décrocher une prime), grâce à qui je suis devenu féministe, Nadjia Bouzeghrane. Nadjia, si tu me lis... En ce temps-là, je ne m'appelais pas encore Rémi Yacine. Il a fallu l'irruption des violences, la perte (l'assassinat) des amis et confrères. L'histoire du journalisme en Algérie s'est écrite à l'encre rouge. Vingt ans plus tard, j'ai perdu mes cheveux, pas encore mes idéaux. Et comme toutes les histoires d'amour ne finissent pas mal en général, je continue d'écrire pour El Watan. En espérant toujours garder le souffle, la flamme du premier jour.