«Pourquoi, en tant qu'universitaire, s'exprimer dans un journal ? Pour tenter, dans la mesure du possible, de faire sortir les savoirs des institutions au sein desquelles ils sont trop souvent confinés.» Dans quel pays démocratique, un gouvernement et sa majorité ont-ils réussi à faire adopter une loi qui sanctionne une interprétation officielle, apologétique et mensongère du passé colonial ? En France, le 23 février 2005. En dépit du retrait de l'article 4, ce texte législatif, toujours en vigueur, débute ainsi : «La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine, ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. » Inutile d'être un philologue ou un universitaire de haute volée pour saisir que le terme «œuvre», tel qu'employé ici, exprime une conception positive de cette histoire, et des actions de celles et ceux qui sont réputés l'avoir faite. Sans précédent, mais pas sans conséquence, car la loi du 23 février 2005 ne fut pas l'épilogue d'une réhabilitation souhaitée, mais le prologue d'un combat continué par N. Sarkozy. A preuve. Dans quel pays démocratique un candidat à l'élection présidentielle, aujourd'hui chef de l'Etat, exalte, en estimant qu'ils furent tous animés par un même «rêve de civilisation», chevaliers, monarques, «empereurs du Saint-Empire» partis à la conquête de l'Orient, et tous ceux qui, royalistes, bonapartistes et républicains, ont contribué, plus tard, à faire de leur contrée la seconde puissance impériale du monde ? En France, le 7 février 2007, à Toulon, au cours d'un discours prononcé par N. Sarkozy, dans le cadre de la campagne électorale qui allait le conduire à l'Elysée. En exploitant de façon démagogique un passé mythifié, le but de cette surenchère néo-impériale était d'aller chercher les électeurs du Front national un par un. Ainsi fut fait. Quel Président peut déclarer à l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar : «Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain (…) ne connait que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine ni pour l'idée de progrès.» N. Sarkozy le 26 juillet 2007. Vrais poncifs racistes qui restaurent des conceptions hiérarchisés du genre humain au sommet duquel trône «l'homme blanc», entreprenant, conquérant et pour cela capable de dominer la nature et le monde, cependant «l'homme africain», réputé privé de ses qualités essentielles, stagne dans une arriération sans fin. Dans quel pays démocratique, des participants à une manifestation, où se trouvaient plusieurs députés du parti au pouvoir – B. Brochand, J-Cl. Guibal, J. Léonetti, L. Luca, M. Tabarot - hurlent à l'encontre d'un citoyen français, l'auteur du film Hors-la-loi : «Bouchareb, hors de France» sans qu'aucun membre du gouvernement ne s'élève contre cette ignominie, pas même les âmes mortes de l'ouverture prétendue ? En France bien sûr. Après le pseudo-débat sur l'identité nationale et la politique xénophobe mise en œuvre à l'encontre des étrangers sans papiers et des Roms, désormais une telle ignominie confirme que l'UMP tolère, quand elle ne les favorise pas par ses initiatives, l'expression d'opinions racistes dès lors qu'elles lui permettent d'occuper le terrain politique qu'elle dispute âprement au Front national. De façon exemplaire mais sinistre, tous ces agissements disent la dérive des démagogues autoritaires aujourd'hui au pouvoir, lesquels prennent, en ces domaines comme en plusieurs autres, de plus en plus de liberté avec les libertés démocratiques, dès lors qu'ils les jugent nuisibles à la défense de leurs intérêts partisans.