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Grèce : Le nouveau chemin des harragas
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Publié dans El Watan le 08 - 10 - 2010

Encouragés par les récits colportés de bouche à oreille de ceux qui ont réussi la traversée, ils sont aujourd'hui une centaine à arriver quotidiennement dans les îles grecques. Vivant d'expédients, ils ont créé leur propre univers dans ce «pays de transit». La Grèce qui dispose de la plus grande frontière de l'Union européenne est devenue la nouvelle Mecque des harraga algériens. Les services du secrétaire d'Etat chargé de la Communauté nationale à l'étranger viennent, cette semaine, d'ouvrir une enquête sur les harraga algériens en Grèce.
«Athènes est devenue une province algérienne.»La phrase vient d'un harrag avec lequel j'échangeais des conversations sur facebook. Je débarque à Athènes, en ce chaud mois d'août, assis à une la terrasse d'un café attenant à l'aéroport d'Athènes, où je devais prendre contact avec mon guide. J'étais justement en train de lire mes échanges avec les harraga sur Internet, «Saha tawana» (salut les nôtres), Aïssa mon contact me tire de ma lecture, il était accompagné d'un ami beaucoup plus jeune, silhouette effilée et cheveux en bataille : «C'est moi ! C'est moi qui vous ai reconnu», me lance-t-il avec son accent jijeli.
«Ce pauvre diable est arrivé à Athènes il y a peine deux heures, je l'ai recueilli à la place Victoria. Ghadni meskine (j'ai eu pitié de lui)», me dit Aïssa. Le jeune Mustapha ajoute comme pour se justifier : «Mon ami a été arrêté par la police, nous étions sans le sou, il a volé un appareil photo, j'ai pris la poudre d'escampette, je cherche à joindre el harramia, mes amis m'attendent là-bas.» Je ne pus retenir un petit rire vite étouffé, devant la détresse du pauvre adolescent. «Ne dis pas el harramia, ça s'appelle place Omonia», lui explique Aïssa. Le jeune Mustapha, l'air désemparé, tantôt nous suivait, tantôt nous dépassait. Apparemment toujours sous l'effet du choc, mais apaisé par notre compagnie familière, il finit par se caser entre nous deux pour nous confier son calvaire. «La traversée a été périlleuse, ça s'est passé dans la nuit de mardi dernier, j'ai failli perdre la vie, une patrouille nous a interceptés à notre arrivée et le passeur nous a expliqué qu'on est refoulés et qu'il fallait revenir en Turquie. Deux Pakistanais voulaient se faire arrêter par les Grecs pour être retenus dans l'île de Samos, une dispute éclata à bord de la barque et notre passeur armé d'un vrai pistolet les a jetés à la mer et faisait semblant de vouloir leur tirer dessus, il y a eu une grande panique à bord, des gens portaient les mains sur la tête, d'autres sautaient dans l'eau sous les injures du passeur, les gardes-côtes de loin ne voulaient pas intervenir, ils semblaient même s'éloigner, on était à 200 m de la côte seulement, alors j'ai sauté, la mer était calme, mais très froide, je me suis dit : je ne peux pas mourir j'ai 20 ans…», sourit-il les yeux mouillés. Ainsi, comble de l'ironie, Mustapha réussit à échapper à la vindicte de Poséidon, le dieu des flots, et atterrit à Athènes. Pour avoir une idée sur l'ampleur du phénomène de la passoire grecque, il ne faudrait pas compter avec les chiffres donnés par le Frontex. L'indicateur réel, ce sont ces centaines de misérables Ulysse modernes qui déferlent chaque semaine sur Athènes en provenance de la Turquie ou des autres îles de la Méditerranée.
Se faire passer pour des Palestiniens
Notre guide Aïssa a 28 ans. Ce jeune, au look hippy, vit à Athènes depuis bientôt deux ans. Un peu gêné du fait que le petit bleu l'ait devancé en matière de révélations, il enchaîne sans préambules sa propre histoire : «Je n'oublierai jamais mon passage de la Turquie à la Grèce. Nous étions 10 personnes, 4 Algériens et 6 Afghans. Pour rallier la Grèc,e notre passeur a décidé que nous empruntions la voie terrestre, car cette année-là, des bruits couraient que les gardes-côtes brutalisaient les clandos et leur prenaient leur argent puis les jetaient à l'eau (une information confirmée plus tard par l'ONG allemande Pro Asyl). Direction Edirne, une ville sur la frontière grecque. Arrivés tard dans la soirée, les habitants nous ont immédiatement signalés aux autorités, la police s'est mise à notre poursuite. A 5h du matin, ils nous ont rattrapés, tabassés et embarqués directement à la prison locale sans aucune autre forme de procès», se souvient-t-il avec émotion. Durant les cinq mois de son incarcération, Aïssa a survécu hanté par les histoires des clandestins qui périssent d'une balle dans la tête ou noyés au large de la côte turque, mais dès sa sortie de prison, il reprend attache avec son ancien passeur et, cette fois-ci, la traversée se fera par la mer. «Il a exigé 500 euros, je ne possédais pas cette somme, alors je me suis mis à voler, je ne mangeais plus à ma faim, j'avais perdu 5 kg, mais j'ai fini par réunir la somme.» Quelques jours après, Aïssa embarque à destination de l'île de Lesbos «où des policiers, visiblement de mèche avec le passeur, nous ont accueillis. Enfin, après un bref passage en taule, j'ai eu ma khartia de séjour». Une khartia est un document délivré par la préfecture de police, suite à une procédure d'enregistrement, avec photos et relevée d'empreintes digitales, en réalité ce billet est une injonction formelle intimant l'ordre à son détenteur de quitter le territoire dans un délai de trente jours, les Algériens, Soudanais ou Afghans, errant dans les rues d'Athènes, ne lisent pas le grec, mais feignent y déchiffrer «carte de séjour !». Pour obtenir ce sésame, signe de quiétude pour certains harraga, le temps de se débrouiller un document d'identité européen, ils se font passer pour des Palestiniens, réfugiés de Ghaza.
Aïssa a roulé sa bosse dans la grande cité, après avoir été exploité par des agriculteurs sans scrupules. A son arrivé à Athènes, il a défoncé la porte d'une vieille villa abandonnée sur le plateau de Pakka, en contrebas de l'Acropolis. Depuis il ne cesse d'accueillir ses compatriotes algériens. Aujourd'hui, Aïssa travaille comme veilleur de nuit dans un kiosque en compagnie d'un Irakien à la rue Athens, en plein cœur de la capitale grecque. Ils sont payés 15 euros par jour. Il semble bien s'y plaire à Athènes : «J'ai tenté à plusieurs reprises de partir pour le Portugal, sans succès, alors j'ai décidé de rester ici.» Aïssa est devenu le chouchou des riverains, il bredouille gaiement quelques expressions en grec et semble réussir son semblant d'intégration. «J'ai mes repères ici, je me suis fait beaucoup d'amis et j'ai fini par m'attacher à ce pays.» Un cas particulier, parmi ces cohortes errantes, tous les autres veulent partir au plus vite, le vol n'étant pas un métier à temps plein, surtout en ces temps où le chômage bat son plein dans un pays ravagé par la crise économique. «Ce n'est pas évident, commente l'Irakien, ici on n'est pas en Allemagne, même si tu arrives d'un pays en pleine guerre civile, tu n'as aucune chance d'obtenir l'asile.»
Le taux de reconnaissance du statut de réfugié est effectivement parmi les plus bas du monde. Les Afghans, Somaliens et Soudanais le savent très bien et ne daignent même plus engager la procédure. Ils préfèrent continuer leur odyssée vers le cœur du vieux continent même en moyennant le prix fort pour être entassés dans les containers des camions de marchandise qui pénètrent l'Italie, près du fameux grand port de Patras. Aujourd'hui, cette voie n'est plus d'actualité, les Italiens ont fermé la porte.
Ne pas se faire prendre
A la place Homonia et dans ses environs immédiats, il m'arrive de me sentir presque à Alger : des «saha kho» qui fusent de partout, des «labess ?» aux coins de rues jusqu'aux altercations de délinquants tonnant de gros mots aux accents algériens. Dans cette Babylone des temps modernes, des clandestins parlant des dialectes anciens côtoient des touristes bredouillant l'anglais sans peine, le tout sur un fond de jacasseries grecques, dans ce chaos urbain, les premiers n'ont d'yeux que pour les objets de valeur, pour les seconds, téléphone, gadgets ou autres accessoires de mode, l'essentiel est de se retrouver le soir en possession d'un truc à fourguer pour pouvoir enfin se payer une nouvelle identité, acheter son billet pour embarquer sur les deux compagnies grecques Olympic et Aegean. Mais la police veille au grain, les clandestins ne sont pas moins vigilants, ici la règle d'or, c'est de ne pas se faire prendre la main dans le sac. Dans ce pays à majorité orthodoxe, il n'y pas de séparation entre l'Eglise et l'Etat et les minorités craignent les forces de police, réputées pour leurs méthodes pas très catholiques. Très vite les Algériens du coin m'ont adopté : «Wech journaliste dialna.» Et sans la moindre gêne, ils commencent à me faire le récit de leur quotidien peu familier, larcins et vol à la tire. Chacun a sa spécialité, pour certains, ce sont les pendentifs en or des bonnes sœurs qui les intéressent, revendus au prix symbolique à quelques trafiquants syriens, pour d'autres, ce sont les appareils photo et caméscopes et autres gadgets. Enfin, d'autres harraga se sont spécialisés dans le pillage des boutiques de luxe. Pour manger, le supermarché Carrefour est leur grenier. «Nous avons recruté des vigiles et renforcé notre système de sécurité, car ces derniers temps, nous accusons un manque énorme et payons de notre poche», confie la responsable de Carrefour. A l'heure de la relève, policiers et travailleurs se rallient, à 6h du matin, les cas d'agression et de vol s'accentuent, profitant de l'absence des policiers, les harraga, peu scrupuleux, se donnent rendez-vous dans un restaurant non loin de la placette Omonia, son nom Kasba. La fréquentation des stations de métro, les arrêts de bus devient dangereuse. La police athénienne, face à ces recrudescences de cas de vol et de criminalité, accentue les descentes, multiplie les patrouilles. Cependant, de l'aveu même de certains policiers : «Nous sommes dépassés et il nous est difficile de faire face à tous ses fléaux.» D'autant que les policiers n'ont pas perçu leurs salaires depuis plus de trois mois.
Un diplomate, sous le couvert de l'anonymat, me demande de «ne pas trop charger ces petits jeunes». Leur compagnie m'a valu une surveillance accrue de la part de la police, car tout simplement, soupçonné d'appartenir à une filière de trafiquants de documents d'identité. Plus tard, des policiers en civil ont fini par savoir mon identité par l'intermédiaire d'autres harraga, et depuis, même les policiers en faction à Omonia m'évitaient presque du regard, la consigne est claire : pas de déclaration ni de commentaire, et cela est valable face aux journalistes de toutes nationalités confondues. Quelques officiers peuvent aborder le sujet suivant un plan de communication préétabli. «Il ne faut pas désavouer l'action de la puissante Frontex, gardienne de la forteresse occidentale, et encore moins atteindre à l'image du pays déjà ternie par tant d'indélicatesses, m'explique un journaliste grec. La Grèce n'a plus le droit à l'erreur et semble être sous protectorat européen.» La suite de mon reportage se poursuivit alors sans grandes surprises ni notables révélations.


Hocine, des euros pour acheter une identité
C'est avec Hocine, 34 ans, un spécialiste de l'immigration clandestine et des traversées risquées, que je commence mon aventure athénienne. Nous sommes un samedi, en pleine saison estivale, les discothèques sont cette cible privilégiée. «Je dois absolument récupérer cinq ou six portables», me dit-il. Nous nous séparons à l'entrée pour nous retrouver quelques heures plus tard. Avant d'atterrir à Athènes où il vit depuis deux ans, Hocine a tout essayé. «Quand j'avais 16 ans, j'ai commencé à faire des allers et retours entre l'Algérie et le Maroc, à l'époque on appelait ça el kabba (le cabas, l'acheminement des vêtements à partir du Maroc). Après la fermeture des frontières, je faisais du trabendo entre l'Algérie et la Libye, d'ailleurs cela m'a valu 6 mois d'emprisonnement dans les geôles libyennes, puis la Syrie où j'ai passé 17 semaines en prison, enfin la Turquie, en 2008, où j'ai passé 3 mois», raconte-t-il, avec un sourire amer qui fait d'ailleurs plisser sa peau tannée. Il vit du vol au jour le jour, il le dit sans aucune honte : «Je suis obligé de voler pour survivre ; ici, il n'y a pas de travail.» Son rêve d'enfant était d'avoir un VTT, «mais mon père a toujours refusé de m'en acheter un, aujourd'hui j'en possède six», ironise-t-il, mais dans ses propos, il y a une haine envers son père, qu'il finit par l'avouer : «Je n'aime pas mon père, ni d'ailleurs ma famille, ça sent trop la misère chez moi.» Il est 4h15 lorsqu'on se retrouve ; le visage défiguré, Hocine s'est fait tabasser par les videurs : «Je l'ai échappé belle, j'ai eu de la chance, ils n'ont pas appelé la police», me lance-t-il. La pêche n'est pas aussi maigre. «J'ai pris 3 portables dont un Iphone», sourit-il malicieusement, car avec ses trois portables, il peut s'assurer de récupérer une carte d'identité belge : «J'avais besoin de 180 euros qui me manquent pour acheter une carte d'identité pour pouvoir passer à l'aéroport, en plus la personne sur la carte me ressemble.»

Mourad, de Oued Smar à Syntagma
J'accompagne cet autre harrag rencontré à Syntagma, la célèbre placette abritant le siège du Parlement hellénique. Mourad, 24 ans, un jeune homme frêle au visage marqué par des années d'errance. Une vie à essayer d'exister. «Même Oued Smar ils l'ont fermé», cette immense décharge publique était son lieu de travail et de vie. Originaire de Aïn Defla, «je n'ai pas vu ma famille depuis l'âge de 16 ans, mon père nous a abandonnés, il est monté au maquis. Mes 11 frères et sœurs ont fui le domicile familial, une baraque dans les monts de Arib, depuis je n'ai aucune nouvelle d'eux, sauf deux de mes sœurs qui sont apparemment devenues des prostituées», confie Mourad. «Je n'ai pas de nom, j'ai falsifié un passeport pour pouvoir venir ici, car je n'ai aucun lien avec ma famille et je doute qu'ils ont toujours un livret de famille.» Arrivé depuis 3 mois, il s'est spécialisé dans le vol de voitures. Cela s'appelle «tabtab», un procédé utilisé pour subtiliser les voitures. Il est 4h du matin, quand un jeune dans une Mercedes s'arrête pour prendre une prostituée nigérienne, de loin, j'observe le manège. Mourad et son complice passent à l'assaut. L'un frappe du côté passager pour attirer l'attention de la victime et l'autre le surprend côté conducteur. «Parfois, nous sommes obligés d'utiliser la force face aux ‘clients' qui n'abdiquent pas», me dit l'ami de Mourad. Résultat, 200 euros, un portable, une carte bancaire et un micro portable, me renseigne Mourad.



Nassim, 100 000 DA pour le passeur et l'avion
Nassim, 22 ans, arrivé en Grèce depuis deux semaines, a passé 6 jours en prison pour tentative de vol, «un passage obligé», dit-il pour avoir la khartia dans l'attente d'un éventuel départ à destination de Milan. Sa spécialité, à lui, le supermarché Carrefour de la placette Omonia. Nassim a quitté l'école à l'âge de 16 ans, pour «problèmes familiaux». Son père alcoolique frappait sa maman chaque soir, ils ont fini par divorcer. «Ma mère a décidé alors de refaire sa vie et je me suis retrouvé seul avec mes deux sœurs», confie-t-il. «J'ai bossé dans plusieurs cafés de Sétif comme plongeur ou serveur, mais je ne gagnais pas beaucoup (1000 DA par semaine).» Difficile de tenir le mois, sachant qu'il a à charge deux sœurs. Cette année, sa grande sœur s'est mariée et son beau-frère lui a prêté 100 000 DA pour payer son billet d'avion pour la Turquie et le passeur.

Nadim, vendeur de fausses identités
Plusieurs jeunes harraga attendent dans leur gîte, des appartements loués entre 4 et 10 euros par jour, selon les standards et les équipements de quelques propriétaires qui ont fui les quartiers jouxtant la place Omonia. Ils ont suffisamment de moyens pour subvenir à leurs besoins pendant leur séjour athénien. Ils font parfois l'objet d'escroqueries de tous genres, fausses cartes au prix d'une vraie par l'intermédiaire des harraga chevronnés qui passent par l'achat des fausses cartes d'identité françaises, italiennes… qui, eux-mêmes, font appel à d'autres personnes dans une espèce de chaîne difficile à remonter. Nadim, un jeune Syrien, est le principal interlocuteur de ces demandeurs de faux ou de vrais documents d'identité. Après négociations, il accepte de nous donner les noms de ses deux principaux fournisseurs. En effet, il s'agit d'un certain Philippe, la quarantaine, Français, et son ami, Mohamed, un Franco-Algérien, la trentaine. «Je leur achète les cartes d'identité à 300 euros que je revends par la suite à mes clients pour 450 euros.»

Mouloud, fuir l'ordre social
Mouloud, 28 ans, ex-commerçant à Bouira, a fui le pays pour des raisons de conservatisme social : «Je sortais avec une fille de 22 ans. Un soir elle m'appelle et m'annonce qu'elle est enceinte, j'ai essayé de la convaincre d'avorter, mais elle a refusé, 4 mois après, sa famille s'en rendant compte me demanda de l'épouser de force, chose que j'ai refusée, après c'était au tour de ma famille de m'y forcer– parce que je serais la source d'une honte au village –, j'ai décidé alors de partir et tout laisser derrière moi», confie-t-il. «Je suis conscient de ce que j'ai fait, mais je pense qu'on était deux à avoir agi, alors elle n'a qu'à assumer l'acte, mais il est hors de question que je me marie avec elle. vous savez que chez nous, une telle chose est réprimandée par les lois sociales», comme pour signifier son refus d'abdiquer au conservatisme et au code de la famille.

Hafid, au service de la mafia albanaise
Hafid vend de la drogue, c'est un ancien terroriste, un repenti. Aujourd'hui, il travaille sous les ordres de la très dangereuse mafia albanaise. Avec sa carrure, il règne tel Zeus dans son quartier. Son business, garder un œil vigilant sur les prostituées africaines, parallèlement à la vente de cocaïne et autres drogues. Il sème la terreur et bouge comme l'éclair sans que personne ne lui mette la main dessus. Selon des témoignages, il est originaire de Médéa, la trentaine, et arrivé en Grèce il y a plus d'une année via la Turquie qu'il a ralliée avec une fausse carte d'identité. Il fait de Victoria l'autre grande place d'Athènes, une zone de non-droit et son réseau s'étendrait jusqu'aux hauts responsables grecs, selon un policier. Selon une source diplomatique, les services de renseignements des deux pays le surveilleraient et une enquête serait en pleine instruction.

Mavro
Ou la zetla algérienne. Les habitudes n'ont pas changé pour beaucoup de nos jeunes harraga, dont le passé n'est pas très glorieux, noir notamment à cause de la vente de drogue et constitution de bandes de malfaiteurs, comme jadis dans leur quartier natal. Ils vendent au vu et au su de tout le monde, à Omonia, le mavro dans des boîtes d'allumettes pour 10 euros.

L'ambassade d'Algérie submergée
Chaque jour, des dizaines de harraga se rapprochent de l'ambassade d'Algérie à Athènes et émettent le souhait de revenir au pays. Les services consulaires ont enregistré jusqu'à présent 87 demandes. Le standard téléphonique de la représentation diplomatique est submergé d'appels émanant des prisons grecques dans l'éventualité d'une intervention diplomatique en vue de leur libération. «Le problème est que la plupart de ces Algériens rentrent en prison avec de fausses identités, donc de fausses nationalités, ce n'est qu'une fois que la situation devient intenable qu'ils demandent notre intervention», souligne un diplomate algérien en poste à Athènes. D'ailleurs, l'ambassade a décidé d'aménager un compartiment dans son enceinte réservé à l'accueil de ses ressortissants algériens établis illégalement en Grèce. Les diplomates algériens se livrent, à cause des agissements des ressortissants algériens clandestins, à une vraie bataille avec les autorités locales pour des soupçons de maltraitance de la part des policiers grecs, une violence que nous avons constatée sur place.

Soumia, d'un enfer à l'autre
Elle vit de prostitution et de la vente de drogue. Une situation dramatique qui choquerait plus d'un. Devant son omerta, m'approcher d'elle n'était pas une mince affaire. Quelques jours plus tard, elle décide enfin de rompre le silence et de se confier. A 16 ans, son père voulait la marier de force à son cousin. Elle décida de fuguer de la maison familiale de Médéa. Sa destination fut Oran. Elle rencontra, un soir dans les rues de cette ville, un jeune dénommé Rachid, 26 ans, percussionniste. Il l'hébergea pendant deux semaines avant de lui proposer un travail comme serveuse dans un célèbre cabaret d'Oran. Au retour d'une soirée, un certain été 2007, Rachid abusa d'elle et elle tomba enceinte. Elle quitta Oran pour Béjaïa, où elle fut engagée dans un cabaret comme serveuse. Son patron la maltraitait et elle perdit son bébé d'à peine cinq mois. Elle est récupérée par Nacéra et son proxénète et devint entraîneuse dans un autre cabaret de Béjaïa. Elle vivote à Athènes depuis trois mois, fuyant l'enfer dans lequel elle vivait, mais devant les prostituées africaines, elle n'a pu se frayer un chemin. Elle est prise en charge par ses compatriotes et «frères» algériens, cela n'empêche que «je fais des passes de temps en temps pour me faire de l'argent et partir d'ici».

2 morts officiellement, 5 selon les harraga
En juin dernier, deux Algériens ont péri, d'après nos informations, dans des circonstances obscures. Leurs corps ont été rapatriés après une longue attente. Concernant les trois autres Algériens décédés, les harraga, que nous avons rencontrés, nous parlent d'une grosse bagarre qui a éclaté entre Algériens et Afghans. Ces derniers avaient, selon toujours les mêmes sources, utilisé des armes automatiques. Les harraga ont alors cotisé pour les funérailles et les morts ont été enterrés dans un cimetière musulman, sous des noms d'emprunt et de nationalité palestinienne.


Zakaria, l'avocat juif des harraga algériens
Tous les jours, on apprend qu'un compatriote est incarcéré. Vite, les jeunes s'organisent en vue de sa libération. «Pour ce faire, on cotise avec ce qu'on peut pour payer l'avocat.» Leur avocat s'appelle Zakaria, un juif grec. Spécialiste des questions de l'immigration, il est devenu, au fil du temps, l'avocat des harraga de toutes les nationalités. Le coût varie selon le degré de l'infraction et la durée de l'incarcération, ainsi pour une peine de 3 mois, l'avocat demande 450 euros, pour 6 mois, 750, pour une année de détention plus de 1200 euros.

Tmima
Un séjour en prison semble ne pas inquiéter les harraga. C'est un passage obligé ou une simple formalité pour obtenir la khartia. Pour cela, ils font tout pour se faire emprisonner. Mais se faire prendre la main dans le sac conduit parfois à Tmima, l'Alcatraz grec, où maltraitance et mépris caractérisent les séjours des détenus sans respect des droits de l'homme, selon les témoignages de quelques détenus sortis, que nous avons rencontrés. Tmima est l'une des trois prisons d'Athènes et la plus dangereuse. Elle est composée essentiellement de geôles où l'on sert à manger une seule fois par jour, à 9h30.


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