Fawdha, la nouvelle pièce d'Ahmed Laggoun, convoque l'absurde pour reparler de la situation de la femme, ici et ailleurs, sans plus. L'homme serait-il «le rêve suprême» de la femme ? La question s'impose à l'esprit comme l'eau à la gorge après une grande soif après avoir vu Fawdha (désordre), une pièce d'Ahmed Laggoun, dont la générale a été présentée mardi 5 octobre au théâtre national Mahieddine Bachtarzi à Alger. Adaptée d'un texte du Syrien Abdelmounaïm Amaïri, révisée par le romancier Abderrazak Boukeba, la pièce se réduit presque à un huis clos entre quatre femmes, rôles joués par Akila Bendimerad, Nadia Talbi, Samia Meziane et Mounira Roubhi Fissa. Dans le texte original, elles étaient six. Chaque femme a une histoire, des douleurs et des fantasmes. Dans une maison plongée dans une obscurité qui défie la lumière par intermittence, ces dames vivent le bazar interne. La plus âgée d'entre elles se rappelle d'un mariage qui n'a pas eu lieu. Ensorcelée, elle ne trouvera jamais de mari. Elle reste accrochée au souvenir d'un jeune tué par un boucher, excédé de le voir collé à elle. Elle reste attentive à tout ce qui se passe dans la maison, à l'eau qui coule, à la lumière et même à l'ennui qui voyage dans l'espace. Tout aussi tourmentée, Khadidja qui a perdu ses cheveux après avoir versé de l'eau chaude sur sa tête à l'âge 5 ans, n'est pas intéressée que par les regards langoureux du vieux Slimane. «Slimane m'appelle Khdaoudj et moi je veux m'appeler Dija», crie-t-elle. Elle souffre d'une existence qu'elle n'a pas voulu. Perdre ses cheveux ne signifie-t-il pas perdre sa féminité ? Ses parents auraient voulu la marier à ce vieux, plus âgé que son père. N'existe-t-il pas des familles dans lesquelles le mariage d'une fille est assimilé à «un soulagement», «une délivrance» ? La troisième n'oublie pas son père. Un père parti trop vite. En chaque homme, elle voit son géniteur. Image collée à son esprit et à son corps. Elle tourne en rond, vit dans le passé, dans les souvenirs, dans l'attente… Et puis, il y a l'autre, celle qui a subi «le déshonneur», dans un champ de maïs, un amour fougueux, un amant lâche, disparu dans les vapeurs de la ville… Ah ! Ces amours incertaines, fuyantes. Elle se réveille mouillée comme une terre après la pluie, mais moins fraîche, moins attachée à la vie, à la verdure des temps futurs. Elle aussi tourne autour d'elle, tente de fuir ses blessures, mais… Les filles tentent de noyer leur chagrin dans la lessive, les bassines sont rouges comme «la honte» dans la société de la morale soignée. Leurs robes sont bleues, la couleur de tous les fantasmes, de tous les désirs… Rouge, bleue paraissent comme des valeurs. Le décor de Fawdha est simple. Des panneaux en morceaux qui soulignent l'éclatement, ou peut-être même, le déchirement. Dans la pièce, le rapport à la terre n'est pas clair. C'est presque impersonnel, sans frontière et sans repères. La scénographie de Salem Neffti est tout juste moyenne, alors que la musique de Saïd Bouchlouche est improbable. Ahmed Laggoun a tenté de respecter le texte initial d'Abdelmounaïm Amaïri sans réussir totalement. Sa mise en scène est modeste, manque de conviction, voire d'assurance. «Nous avons voulu adopter la méthode brechtienne en nous basant sur le corps des comédiennes et sur la disposition scénique du décor», a expliqué Ahmed Laggoun. Le théâtre de l'Allemand Bertolt Brecht invite à la réflexion et suggère la critique. Pour le metteur en scène, Fawdha puise aussi dans la comédie noire. Cela est probablement suggéré par ces éclats de rire des comédiennes. «Fawdha est un texte philosophique», a indiqué le metteur en scène comme pour tenter d'expliquer l'incompris dans sa démarche artistique.