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Des sujets tabous vivement débattus
Mohammed Harbi et Gilbert Meynier aux Débats d'El Watan
Publié dans El Watan le 23 - 10 - 2010

La nouvelle édition des Débats d'El Watan, tenue hier à l'hôtel Essafir d'Alger, a été consacrée à l'histoire de l'Algérie.
Sous le thème «Penser l'Histoire de l'Algérie», la conférence-débat a été animée par deux éminents historiens, à savoir Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, lesquels ont tenté de décortiquer certains faits relatifs à la période de la colonisation française et y apporter les éclairages nécessaires.Connu pour ses remarquables travaux sur le FLN dont son livre intitulé FLN : Mirage et réalités, Mohammed Harbi souligne d'emblée qu'il est plutôt «urgent» de «repenser l'histoire de l'Algérie», précisant qu'elle a été déjà pensée. Pour lui, repenser l'histoire, c'est aussi répondre à certaines questions que pose légitimement la génération actuelle en Algérie. L'une de ces questions qui taraudent nombre d'esprits est «pourquoi l'Indépendance n'a-t-elle pas donné lieu aux espérances du peuple et de la Révolution, aussi bien en termes de démocratie que de progrès social et économique».
Le passé, comme il l'a souligné, se transmet sous différents et multiples habillages, selon que l'on est de tel ou tel courant ou idéologie. La jeunesse algérienne a besoin, estime-t-il, d'autres repères (historiques) pour ne pas tomber dans la léthargie. L'identité d'un peuple, a-t-il précisé, se forge de son histoire et à travers des repères auxquels l'on s'identifie.
Disséquant l'histoire de la colonisation française, M. Harbi a mis en avant «les particularismes» de la société algérienne de l'époque, loin d'être homogène et unifiée. Selon lui, les clercs islamiques, profitant de la réalité de la société algérienne, ont fait de l'Islam le principal identifiant national, une sorte de «nationalité religieuse».
Mieux encore, ces clercs considéraient l'Islam non seulement comme une religion, mais comme l'unique identité que les Algériens doivent préserver s'ils veulent continuer d'exister. L'Islam comme doctrine a ainsi fait partie du roman national.Mohammed Harbi a également évoqué les multiples crises qui ont secoué la Révolution algérienne de 1930 à 1962. Des crises qui portaient notamment sur la conception de la nation.
Diversité sociale et culturelle de l'algérie
Des Messalistes qui étaient foncièrement contre une action armée aux nationalistes qui voulaient une société multiculturelle et multiethnique, Harbi est revenu sur les clivages et les conflits autour de la diversité sociale et culturelle de l'Algérie. Il a fait remarquer que les clivages de l'époque ont masqué l'existence d'une Algérie aux multiples racines ; une Algérie à la fois berbère et arabe. Ces clivages ont empêché ainsi l'émergence d'une communauté nouvelle, enracinée dans l'universalité et non une communauté recroquevillée sur elle-même.
Pour Harbi, il y a eu simplement négation de la diversité culturelle et raciale. Les conséquences de cette négation se font sentir, selon lui, même après l'Indépendance. L'auteur de l'Algérie et son destin, Croyants ou Citoyens, paru en 1993, a insisté sur quelques travers que la société algérienne a toujours connus, à savoir «factionnalisme, clientélisme et corruption». Abordant la violence ou plutôt les violences qui ont marqué la guerre d'Indépendance, M. Harbi estime que cette question mérite d'être profondément étudiée et analysée pour que «l'Algérie ne vive plus ce qu'elle a vécu dans les années 1990». Selon lui, bien que les déclencheurs de la guerre aient interdit les viols, les massacres de femmes, des enfants, des vieillards ainsi que la profanation des lieux à caractère religieux, la situation sur le terrain était tout autre et échappait au contrôle des dirigeants, qu'ils fussent politiques ou militaires.
Cela, Mohammed Harbi l'a expliqué en partie par l'existence notamment de certains groupes armés participant à la guerre sans s'inscrire dans la centralité du FLN. Ainsi, à bien le comprendre, le FLN n'a pas su encadrer et organiser l'insurrection algérienne afin d'éviter qu'elle soit marquée par des violences incontrôlées. Pour Harbi, le mouvement qui a déclenché la lutte armée a fait preuve d'une incapacité à penser politiquement les objectifs et les méthodes de la guerre révolutionnaire. Si beaucoup de militants nationalistes avaient compris, notamment en faisant le bilan de l'insurrection du 8 Mai 1945, qu'une insurrection armée devait être soigneusement organisée pour éviter qu'elle soit à nouveau marquée par des violences incontrôlées et ne provoque une répression massive, le FLN n'a pas su l'encadrer ni l'organiser.
Autre sujet qui, selon Harbi, mérite d'être abordé en toute sérénité : les séquelles de cette guerre, notamment la question des harkis. Cette question relève du politique. Il y avait, d'après lui, 150 000 supplétifs et 60 000 Algériens au service national. Il estime que les Algériens qui étaient du côté de la puissance coloniale l'avaient fait par peur ou pour se protéger. Autrement dit, on ne peut pas les condamner à vie. Il s'agit d'une des séquelles de la guerre d'Indépendance qui doit être traitée. Soulignant ainsi l'importance de l'histoire de la construction nationale, Harbi, pour qui la compréhension des événements historiques va contribuer à mieux affronter les défis de l'avenir, met toutefois en garde les Algériens contre « les usages politiques du passé».
Selon lui, parmi les effets pervers de la Révolution, c'est d'avoir évacué la multiplicité des racines. Ce problème du pluralisme révolutionnaire demeure posé.Professeur émérite d'histoire, Gilbert Meynier, quant à lui, a évoqué comment le lobby colonial a conduit à un dénouement sanglant et violent de la colonisation de l'Algérie. Tout en rappelant le vrai visage de la colonisation française, faite notamment de spoliation de terres, de discriminations raciale et fiscale, Meynier a évoqué d'un œil critique l'historiographie officielle. Il a souligné le caractère instinctif du racisme français envers les Algériens.
Un racisme que reflétaient les différentes politiques coloniales, depuis 1830 jusqu'à 1962. Pour étayer ses propos, Meynier a cité le projet Blum-Violette de 1936 au code de l'indigénat. Selon lui, les pouvoirs politiques français avaient tous cédé au lobby militaire colonial, ce qui avait conduit les Algériens à prendre les armes. Les débats se sont déroulés en présence de grands noms de la guerre de Libération nationale comme Chawki Mostefaï, Mohamed Mechati, Abdelhamid Mehri, Mohamed Korso et Brahim Chibot. Plusieurs questions ont été soulevées par nombre d'intervenants. Des questions sur lesquelles nous reviendrons dans notre édition de demain.


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