Les spécialistes de la loi sont intrigués par l'identité de l'office central de répression de la corruption. A quelle tutelle obéit ce dernier ? L'arsenal juridique et les dispositifs anticorruption portent-ils en leur sein leur propre acte de décès ? Pressé par un contexte de scandales en cascade et de critiques envers le pouvoir exécutif pour sa lenteur dans la mise en application des dispositions de la loi 01/06 de prévention et lutte contre la corruption, le pouvoir exécutif réagit à travers la directive présidentielle n° 03 du 13 décembre 2009 visant le renforcement de la prévention et de la lutte contre la corruption, objectif souligné dans le discours présidentiel du 28 octobre, à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire. Dans ce discours, le président de la République insistait sur la détermination de l'Etat à lutter contre ce fléau. «La révision des lois en vigueur est une nécessité irréversible», a-t-il affirmé. Parmi les mesures retenues par la directive : la création d'un office central pour la répression de la corruption en tant qu'outil opérationnel sur terrain, l'accélération de l'application des dispositifs mis en place et enfin l'adaptation continue et rigoureuse des dispositifs législatifs et réglementaires afin que les sanctions des affaires soumises à la justice soient à la mesure de la gravité des faits commis. Dix mois après, de nouveaux textes sont proposés et approuvés lors du Conseil des ministres du 26 août 2010. Il s'agit d'ordonnances présidentielles qui seront publiées en effet au Journal officiel n°50, amendant la loi 06/01 du 20 février 2006 avec un titre III bis et adoptées à la hussarde par l'APN lors de sa séance du 21 septembre 2010. Si la réhabilitation de la Cour des comptes est saluée par tout un chacun, exception faite de la faune des corrompus qui infeste le circuit économique national, la déception est en revanche immense compte tenu de l'occultation de l'introduction, en vente concomitante, dans la loi 01/06, de la correctionnalisation du crime de corruption. Un office inscrit sous X Plus que tout, les spécialistes de la loi sont intrigués par l'identité de l'office central de répression de la corruption. A quelle tutelle obéit ce dernier? Aucune. Le nouveau venu est privé en effet de ce trait d'identité qui définit sa filiation organique et détermine sa position dans le dispositif. Dans le titre III bis de l'ordonnance n°10-05 du 26 août 2010 relative à la création de l'office, l'article 24 bis stipule : «II est institué un office central de répression de la corruption chargé d'effectuer des recherches et des enquêtes en matière d'infractions de corruption. La composition, l'organisation et les modalités de fonctionnement de l'office sont fixées par voie réglementaire.» Aucune autre précision n'est donnée. Quid du tuteur ? Serait-ce la présidence de la République, le ministère de la Justice, celui de la Défense ou celui de l'Intérieur ? Mystère ! Pour les hommes de loi, comme pour les politiques, l'on ne s'explique pas les raisons d'un tel foisonnement de services chargés d'une même mission, à savoir enquêter sur les affaires de corruption. La création d'un office central signifie-t-elle que les autres services sont inefficaces ? Les missions de la police judiciaire telles que définies dans l'article 12, alinéa 4 du code de procédure pénale, impliquent le champ d'investigation dans les affaires de corruption en tant qu'infractions à la loi pénale. La présente ordonnance ne donne pas plus d'indication si ce n'est que leur compétence s'étend sur tout le territoire national. Il est vrai que ni les agents de police ni ceux de la gendarmerie n'ont été à l'origine des révélations des scandales qui ont marqué l'actualité ces dernières années. Les officiers de la PJ, relevant des services militaires de sécurité, et peut-être sans le vouloir, ont le quasi-monopole dans ces affaires. Une autorité confirmée et soutenue par la création au sein du DRS d'un service spécialisé, le Service central de police judiciaire (SCPJ) dont les missions sont définies par le décret présidentiel n°08-52 du 9 février 2008. Dans les textes, l'Etat dispose donc de plusieurs appareils censés être en charge des missions d'enquêter sur les affaires de corruption. Et même si un seul seulement semble opérationnel (le SCPJ), la création d'un nouvel office, de surcroît désarmé à sa naissance, fait planer des zones d'ombre sur la démarche employée. L'office connaîtra-t-il le même sort que celui de l'organe de lutte et de prévention contre la corruption ? L'opinion publique demeure en tout cas sceptique quant à une volonté politique authentique du pouvoir à venir à bout de ce monstre perfide qui ronge l'économie nationale et sape le moral de la nation.