Cité sans sommeil. Etrange navire échoué sur les rivages de l'Arabian Sea. La nuit s'achève sous la pluie. 34 degrés déjà au lever du jour. La Babel du cinéma attend la visite de Barack Obama. Cruelle initiative : les employés de la mairie arrachent les noix des cocotiers à Mumbai. Comment croire que les services de sécurité américains dépêchés ici puissent ordonner une telle chose ? Pour éviter sans doute qu'une noix lourde, bien sentie, atterrisse sur le crâne d'un officiel yankee. A savoir ce que ce simple accident entraîne ? Ce serait un écueil majeur, insurmontable dans les bonnes relations indo-américaines ! Cette visite a suscité au fil des jours, et alors qu'Obama n'avait pas encore foulé le sol indien, fièvre, excitation et moult commentaires. Une mini-tempête médiatique. Mélange de préparatifs sécuritaires, à commencer par les noix de coco, avec le bouclage total du secteur de Gateway of India et l'évacuation du fameux hôtel Taj Mahal. Et d'inquiétudes quasi cauchemardesques du côté indien : à propos de la demande de Michèle Obama de visiter le quartier interdit, le miséreux et inconvenant secteur de Mumbai où s'alignent toutes les enseignes des maisons closes. Ce n'est pas une bonne idée, dit The Times of India. C'est un lieu sans visage et sans yeux pour les officiels indiens, mieux vaut l'oublier.
La First Lady et les anciens temples
Ce serait une rude épreuve pour la First lady qui veut apporter partout son soutien aux femmes en détresse. La terrible perspective de voir des centaines de caméras de chaînes de télévisions américaines dans l'univers sinistre des lunapars de Mumbai a effrayé le gouvernement. Priée de changer d'avis, Mme Obama ira sans doute voir quelques temples anciens.Mumbai, 14 millions d'habitants, la ville la plus riche de l'Inde, la capitale économique et commerciale, le centre de recherche nucléaire du pays, est souvent décrite comme un chaos, un enfer. Réputation justifiée de par sa surpopulation, son incroyable désordre automobile et surtout pour les conditions dantesques dans lesquelles vivent ses citoyens de dixième zone, les milliers de pauvres sans abri agglutinés dans les périphéries, sans espoir et sans loi. Aujourd'hui, les promoteurs immobiliers tentent de les repousser plus loin, hors de la ville. Le boom immobilier a besoin de nouveaux terrains. La nouvelle classe moyenne indienne manifeste trop bruyamment son désir d'acquérir les nouveaux appartements. Cette classe moyenne de l'Inde dont tous les économistes parlent à présent. Sur une population nationale de 1,2 milliard d'Indiens, la classe moyenne a atteint un total de 300 millions, dont 50 millions auraient le même niveau de vie que leurs semblables en Europe. L'Inde aurait donc quitté l'enfer du socialisme et beaucoup ici jonglent avec les millions de roupies et s'adonnent aux plaisirs de la nouvelle société de consommation : voitures japonaises, téléphones mobiles, shopping-centers...
L'Inde a lancé avec succès 9 satellites de télécommunication qui couvrent l'ensemble du pays. Chaque mois, on compte 3 millions de nouveaux abonnés au téléphone mobile. En 2008, il y avait en Inde 80 millions d'abonnés à Internet. Le monopole de la télévision a aussi éclaté. 7 nouveaux opérateurs privés et de multitudes nouvelles chaînes sont venus concurrencer l'unique opérateur national. La réputation d'enfer de Mumbai n'est par contre nullement justifiée quand on voit les splendides villas de Malabar Hill, vaste et ultra luxueux repaire des stars du cinéma indien, mais aussi Marine Drive, Nariman Point, Juhu Beach avec leurs maisons qui valent de l'or, leurs palaces de marbre, leurs somptueux shopping-centers, sans compter les cinémas multiplex, les librairies magnifiques pour s'oublier des heures entières au milieu du monde de la littérature indienne. Dans ces coins-là, on rend aussi hommage aux plats succulents servis dans les superbes restaurants d'où émanent des odeurs de cannelle, de curry, de coriandre et de cardamome... On débarque à Mumbai au bout de trois heures de vol depuis Abu Dhabi. L'Inde est liée aux Emirats du Golfe comme par un cordon ombilical. Ils sont des centaines de milliers d'Indiens à émigrer chaque année dans l'univers délirant de Dubai et d'ailleurs, travaillant sous le feu intense du soleil, menant une vie souvent épouvantable, pour construire des routes et des gratte-ciel. Ces forçats retournent périodiquement chez eux, chargés de bagages, heureux à l'arrivée de déballer leur trésor sous les yeux de leurs enfants. Les vols sont toujours complets des semaines à l'avance. Le voyage s'effectue le plus souvent en pleine nuit, afin d'éviter aux avions l'intense chaleur du jour. On débarque à Mumbai avant le lever du jour. Mais Mumbai, c'est un non-stop ! La vie ici ne s'arrête jamais. A toute heure, la ville est identique à elle-même, insomniaque, turbulente, agitée, ultra pressée mais souvent coincée dans les encombrements. Autour de l'aéroport, des files de taxis, «rickshows», cars, camions sont bloqués et klaxonnent tous en même temps. L'anarchie guette... Mumbai, sept îles dans une seule ville. On roule à gauche. On passe sur des ponts. Les piétons sont continuellement en danger quand ils évitent les passerelles. Ville magnifique et cruelle à la fois. Ville imprévisible : les innombrables trains de banlieue serpentent jour et nuit, surchargés de voyageurs accrochés aux portières et, souvent, carrément sur les toits. On s'extasie sur le miracle de toutes ces voies ferrées, jusqu'à la collision fatale ou le tragique déraillement. Ce qui se produit souvent. Mumbai, aujourd'hui, investit dans le métro en construction. Et déjà, impatients, les médias exaltent les vertus et la sécurité des voyages souterrains. Mumbai fête Diwali en ce début novembre, cinq jours de réjouissances et de miraculeux usages. On fête Rama, le roi mythique de l'Inde ancienne, dont l'histoire, qui remonte du fond des âges, est racontée dans l'épopée du Ramayana. On glorifie aussi Lakshmi, la déesse de la richesse et de la beauté avec des offrandes dans la mer. Les gamins courent sur la plage de Juhu, les poches pleines de pétards. Les feux de Bengale éclatent partout. Cinq jours et cinq nuits d'un singulier et joyeux boucan. Tout le monde porte des habits neufs et échange des sucreries. Le 12e Festival du film de Mumbai (MFF) a rendu son palmarès la veille de Diwali. Le grand évènement s'est passé dans une ambiance cool et active à la fois. A Mumbai, depuis toujours, on nage dans le cinéma comme un poisson dans l'eau. Pour une fois, tant pis pour Bollywood qui fonctionne à coups de millions de roupies, de crores qui valent dix millions. Mais le festival est un organisme indépendant, tourné vers le cinéma, indien ou étranger, d'exceptionnelle qualité, organisé par la Mumbai Academy of Moving Image et Reliance Big Entertainment. Programmation brillante, assistance nombreuse, débats passionnés : tant mieux pour les rêveurs d'un cinéma où la beauté et l'intelligence sont sans cesse renaissantes.