Les élus du peuple ont donné un satisfecit au gouvernement. Ils vont sans doute, à nouveau, violer l'article 160 de la Constitution et voter le projet de loi de finances qui va, sous peu, leur être présenté. Les Algériens, notamment les jeunes, cadres ou chômeurs, ont compris que la pauvreté qui s'est emparée de leur quotidien n'est en rien en relation avec le niveau de prospérité ou les richesses de la nation. Elle est, en réalité, reliée à la nature du régime qui dirige le pays. Une caste boulimique qui s'enrichit et qui ne s'en cache pas. Une caste prédatrice et indifférente au désespoir des familles qui émargent tous les jours à la pauvreté et à l'humiliation.» J'écrivais cela le 24 mai 2009 (El Watan : «Les jeunes Algériens, ces oubliés du programme du président»). C'était tout juste après la réélection de Bouteflika pour un troisième mandat et la présentation aux parlementaires, par l'actuel Premier ministre, de son programme d'action. Est-ce que la vie des Algériens a, depuis, changé ? Est-ce qu'il y a moins de harraga, moins d'émeutes dans le pays ? Des questions auxquelles chacun peut répondre par la négative. Le projet de loi de finances pour 2011 et la déclaration de politique générale du gouvernement ne sont ni prometteurs ni porteurs d'espoir. Ils viennent, avec les réponses du Premier ministre aux interrogations des députés, confirmer que l'avenir du pays est sombre. Un projet de loi de finances qui aligne une succession de chiffres à donner le vertige. Des centaines de milliards de dollars mis à disposition par le gouvernement pour donner du bonheur aux Algériens. En réalité, une loi de finances identique aux précédentes, avec des promesses aux apparences de professions de foi. Des sommes colossales qui seront, comme chaque année, sûrement dépensées ; pour autant, le quotidien des citoyens fait toujours du «sur-place» pendant que leur qualité de vie continue de se dégrader inexorablement. Pourquoi ? Parce que tous ces chiffres ne correspondent à rien de concret qui puisse faire croire à une possible amélioration future de la qualité de vie de l'Algérien et parce que les réponses du Premier ministre, sur sa déclaration de politique générale, ne témoignent aucunement de la volonté du régime à restaurer le citoyen dans son autonomie et à l'émanciper de sa dépendance à l'Etat. Je ne vais pas m'aventurer dans l'analyse critique de ces chiffres — un domaine réservé aux spécialistes. Je note, toutefois, que ce projet de loi est essentiellement orienté vers la maîtrise des surcoûts des programmes des investissements en cours. «Des surcoûts qui grèvent lourdement les ressources publics», est-il écrit dans l'introduction du projet de budget de l'Etat. Les autorisations de programmes ont été de 25% supérieures aux prévisions durant les dix dernières années et, pour les cinq années précédentes — années du plan quinquennal 2005-2009 —, la moyenne annuelle des réévaluations des coûts de projets engagés a été de 62%. Ainsi, le tiers de la cagnotte de 286 milliards de dollars que le gouvernement a mise dans le plan quinquennal 2010-2014 sera utilisé pour éponger les surcoûts des programmes en cours, le métro d'Alger, l'autoroute Est-Ouest, etc. De vieux projets en souffrance, chacun le sait… Une monstrueuse gabegie qui participe d'une incompétence avérée et d'un manque flagrant de rigueur dans la gestion des finances publiques. Sans être gêné outre mesure, le Premier ministre annonce aux parlementaires qu'il s'agit là d'une pratique courante. Pour asseoir ses assertions, il cite un certain nombre d'entreprises européennes prestigieuses qui pratiqueraient ces surcoûts, mais il oublie de préciser le pourcentage toléré et leur durée dans le temps. Pour arrêter ce gaspillage des finances publiques, le Premier ministre vient de promulguer de nouvelles décisions. «Les surcoûts des projets seront réduits», a-t-il annoncé. L'Algérie va enfin — il faut, sans doute, s'en féliciter — faire l'économie de 57% sur le budget d'investissement. Le lecteur aura noté que les surcoûts ne seront que réduits. Il y aura toujours 5% de réévaluation… Cependant, le Premier ministre se garde bien de nous donner les raisons qui ont motivé ces surcoûts. Est-ce les retards dans la réalisation des programmes qui sont responsables de cette situation ? Est-ce l'instabilité de l'environnement économique national et international (?) qui est génératrice de la réévaluation des coûts ? Est-ce que cette hémorragie financière est le fait de détournements ? Est-ce que la corruption — dont les scandales ne cessent d'éclabousser les grands projets, à l'instar de celui de l'autoroute Est-Ouest — est à mettre sur le compte de tout ce gaspillage de l'argent public ? Autant de questions qui n'ont pas été abordées dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Il est vrai que le Premier ministre — qui s'est, au demeurant, présenté devant les parlementaires vêtu de son habit de chef de parti politique — était venu régler ses comptes avec les députés du RCD car ceux-ci ont, durant leurs interventions, posé les problèmes de la corruption et de la prédation des richesses nationales… En réponse, une agressivité mal contenue qui met en lumière le bien-fondé des interrogations des parlementaires du RCD et qui jette le doute sur la réelle volonté du pouvoir de mettre fin à l'état de délabrement avancé dans lequel se trouve notre pays.Le gouvernement a donc pris des mesures pour contrôler ces surcoûts (instruction n°2 du 22 juin 2010 du Premier ministre et circulaire n°3 du 2 mars 2010 du ministre des Finances prise en application du décret 98-227). Des mesures qui exigent des ordonnateurs des budgets de l'Etat d'accompagner les demandes de réévaluation d'un dossier composé des éléments de justification. Il est surprenant de constater que les demandes d'augmentation de la dotation financière des programmes ne soient pas, jusque-là, accompagnées des justificatifs idoines. Dois-je comprendre qu'il suffisait que l'ordonnateur demande une enveloppe supplémentaire, sur simple écrit ou par injonction verbale — ces dernières ne laissent pas de traces — pour obtenir le financement demandé ?... Pourquoi avoir attendu pour mettre en place ces nouvelles exigences, sachant que cette verrue des réévaluations des coûts des projets ruine les finances publiques depuis déjà une décennie ? Est-ce parce que de telles décisions bousculent des intérêts difficiles à combattre ou est-ce parce que les pouvoirs publics n'ont pas la volonté de lutter, notamment, contre les dilapidations et la corruption ? Pourquoi le chef de l'Exécutif n'a-t-il pas promulgué les décrets d'application de la loi 06-01 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption ? Une loi votée le 20 février 2006 (JO n°14 du 8 mars 2006). Une loi qui autorise la création de l'organe central de prévention et de lutte contre la corruption, un organe qui n'a pas encore vu le jour. Pour autant, le Premier ministre a répliqué aux députés de l'opposition démocratique que «la lutte contre la corruption n'est pas un discours, mais des actes». Pourquoi n'a-t-il pas agi pour faire appliquer la loi ? A moins que des obstacles majeurs l'en aient dissuadé. Si c'est le cas et s'il est de bonne foi, il lui reste la solution de se démettre. S'il s'accroche, il est permis de douter de sa volonté politique d'agir… Des discours (?) qui autorisent toutes les conjectures. D'aucuns ont la certitude que le mauvais classement, depuis plusieurs années, de l'Algérie par l'ONG Transparency International en matière de corruption témoigne de l'absence de volonté politique des pouvoirs publics de lutter contre ce phénomène qui gangrène la vie économique du pays et pollue la vie politique nationale. Notre pays est classé, la presse nationale du 27 octobre en a largement fait écho, à la 105e place sur 185, avec un indice de perception de la corruption (IPC) pour 2010 de 2,9/10. Ce qui correspond à un haut niveau de corruption, loin derrière la Tunisie qui est classée à la 59e place et le Maroc à la 89e. «Le pouvoir a l'argent, mais il n'a pas les bonnes idées pour donner du bonheur au peuple et, surtout, pour redonner de l'espoir à nos jeunes concitoyens, chez qui gronde une révolte qu'il ne sera pas possible de contenir trop longtemps. Cette loi de finances 2010 inscrit son action dans une politique sociale qui n'apporte pas de solutions concrètes et définitives aux difficultés endémiques dans lesquelles se débattent quotidiennement les Algériens. Ces derniers, qui ne désirent pas être les objets de mesures sociales qui en font des assistés, veulent du travail. Un travail qui les émancipe de la dépendance à l'Etat et les restaure dans leur dignité. De toute évidence, ce ne sera pas pour cette année.» J'ai écrit cela à l'occasion de la présentation du projet de loi de finances 2010 (El Watan du 22 novembre 2009 : «Une loi de finances pour acheter la paix sociale)». Un budget de 6618 milliards de dinars dont la moitié (3434 milliards) est allouée pour assurer le train de vie de l'Etat. La différence (3184 milliards de dinars) est affectée aux investissements publics. Que le citoyen ne s'y trompe pas : 68% de cette somme (soit 2156 milliards de dinars) iront combler, une fois de plus, les déficits générés par les surcoûts des projets de 2009, ardoise que l'année 2010 n'a pas pu effacer. Le reste, environ 1028 milliards de dinars, sera partagé entre les programmes nouveaux (environ 654 milliards de dinars) et les investissements en capital pour 374 milliards de dinars. Pour finir, 10% seulement,des ressources allouées pour 2011 seront investies dans des projets neufs. Un budget nettement inférieur à celui attribué à la politique sociale (1000 milliards de dinars) par la loi de finances 2010. Il faut souligner que les investissements nouveaux, dont il sera question durant cette année 2011, seront orientés vers des projets d'infrastructures : routes, logements, hydraulique, etc. Un budget très insuffisant pour un programme qui, encore une fois, tourne le dos à la création de richesses et aux projets potentiellement générateurs d'emplois. Pis, les ministères en mesure de promouvoir l'emploi, comme ceux du Tourisme, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, des PME/PMI ou encore celui du Travail, n'ont pas reçu de dotation financière spécifique pour susciter et encourager la création de postes de travail. A noter que 300 000 emplois seront crées en 2011 par le ministère du Travail, dans le cadre du dispositif d'aide à l'insertion professionnelle (DAIP) pour une enveloppe de 28 milliards de dinars. Des emplois précaires qui maintiennent dans la dépendance le citoyen. Une mesure d'assistance sociale supplémentaire et des emplois qui seront naturellement comptabilisés dans le calcul d'un taux de chômage qui doit descendre sous la barre des 10%. Une persistance dans le mensonge, même si la rue et le Fonds monétaire international (FMI) démentent les chiffres annoncés par l'Etat. Plus de 20% des chômeurs dans notre pays, a annoncé, à l'occasion de sa visite en Algérie, le directeur de cette institution internationale. Dans le projet de loi de finances 2011 et dans la déclaration de politique générale du Premier ministre apparaît un concept nouveau : développement humain. «L'avant-projet de loi de finances 2011 a retenu un programme d'équipement public orienté en priorité vers le développement humain et l'amélioration du cadre de vie des citoyens» (volume 1 du projet de budget de l'Etat pour 2011). «Dès lors et tout en poursuivant son développement humain, notre pays est désormais plus à même de consacrer davantage de ressources au développement d'une économie diversifiée» (introduction de la déclaration de politique générale, point 6). Le développement humain, un concept qui a attiré mon attention. Un concept auquel on fait dire, si l'on s'en tient à ce qui est écrit dans les documents cités ci-dessus, que les Algériens sont heureux dans leur pays et que les pouvoirs publics y veillent jalousement. Rien que ça. Le développement humain est un concept généreux qui place l'homme au centre des préoccupations des Etats. Il fait de lui l'artisan de son propre destin et l'acteur privilégié de l'avenir commun. Il en fait également un citoyen émancipé de toute tutelle, capable du libre arbitre, et lui en donne tous les moyens. Un concept qui s'appuie sur les articles 22 et suivants de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 (encyclopédie Wikipédia) dont l'article 23 consacre le travail comme l'instrument privilégié d'émancipation de l'homme : «Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage (...).» Dans le discours du gouvernement algérien, le développement humain est une notion galvaudée, vidée de son sens et dépouillée de sa générosité. Une notion qui ne semble pas avoir été bien comprise par le pouvoir. Loin de concentrer ses efforts sur l'individu pour en faire un citoyen et un agent du changement — la définition même du concept —, il en fait un assisté. Le pouvoir, dans notre pays, ne veut pas d'un peuple qui exerce son libre arbitre et veut être acteur «des changements de son existence par des actions individuelles ou collectives concertées, sociales et/ou politiques». Un des fondements du concept du développement humain (Gilbert Aho, économiste principal, PNUD Bangui). Il ne veut pas non plus d'individus qui participent à la vie de la communauté et qui expriment une opinion sur les choix, les orientations et les prises de décision affectant leur vie. Il veut des sujets totalement soumis, dépendants et incapables d'initiatives ou d'idées et pour lesquels il doit pourvoir aux besoins élémentaires. Il veut «des clients» prisonniers d'une politique paternaliste et éternellement redevables d'un pouvoir providentiel qui leur distribue le cartable au début de l'année, le couffin de l'Aïd, le logement social, le travail temporaire, etc. En somme un pouvoir généreux (!). Une logique d'Etat totalitaire qui soumet le peuple et qui veut durer. Le développement humain n'est pas uniquement le PIB par habitant ou l'espérance vie, c'est aussi l'accès au travail, le sentiment de sécurité, une bonne éducation, une université performante, l'accès à la santé, etc. De ce point de vue là, il est difficile pour le gouvernement algérien de continuer à mystifier la réalité. Il ne fait pas bon vivre en Algérie. C'est une certitude. Toutes les enquêtes spécialisées dans le domaine sont unanimes à classer l'Algérie dans le contingent des derniers pays à fréquenter, toujours loin de nos voisins tunisien et marocain. Le célèbre hebdomadaire américain Newsweek — qui s'est basé sur un certain nombre de critères comme la qualité de vie, le dynamisme économique, l'éducation, la santé, etc. — a, dans sa publication du 16 août dernier, classé notre pays à la 85e place sur 100 enquêtés. Le meilleur pays d'Afrique est la Tunisie. Par ailleurs, le classement selon le degré de pacifisme (GPI : Global Peace Index) a mis l'Algérie, pour 2010, à la 116e position sur 149, loin derrière le Maroc (58e) et la Tunisie (37e). Il est utile de souligner que nos deux voisins ont amélioré leur classement par rapport à l'année dernière, alors que notre pays (110e en 2009) a reculé : 44e place pour la Tunisie, 63e pour le Maroc. Ce classement a été réalisé par The Economist, un magazine australien, assisté par un jury d'experts faisant partie d'instituts pour la paix ou de think-tank (laboratoire d'idées : experts spécialisés dans des études et propositions dans le domaine des politiques publiques) et le Centre for Peace and Conflict Studies (CPCS) de l'Université de Sydney. Les facteurs pris en compte sont essentiellement le niveau de violence et de délinquance intérieure, les dépenses militaires, les guerres, etc. Ces avis d'experts sont, selon notre Premier ministre, faux, et participent d'une volonté de nuire à l'image de l'Algérie. Un discours passéiste, anachronique, qui rappelle le nationalisme étriqué ayant prévalu durant les années soixante-dix. Il dira que ceux-ci (les experts) n'aiment pas notre pays et, sous prétexte de «glorification» de nos voisins tunisien et marocain, il accusera, sans doute, de manque de patriotisme ceux qui rapportent leurs travaux à l'opinion nationale. La Tunisie et le Maroc n'ont pas besoin d'être glorifiés par des tiers, la qualité de la gestion des affaires publiques par leurs dirigeants — qui ont le souci de la patrie — est là pour le faire. Le chef de l'Exécutif devrait en prendre exemple. Il ne peut pas nier qu'il n'est pas nécessaire de scruter les opinions des organismes et experts internationaux pour apprécier la situation dans notre pays. Des indicateurs qualitatifs visibles sont là pour dévoiler la réalité de la qualité de vie des Algériens. L'Algérie est toujours en proie au terrorisme et à la violence. Les émeutes sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes. Les harraga — un internaute préfère le mot «évadé» — sont plus nombreux et plus déterminés que jamais. Les jeunes en proie à la malvie recourent aussi aux drogues et aux comportements délinquants et dangereux. Les universitaires algériens, appauvris et méprisés, fuient le pays ; une véritable hémorragie qui ne semble pas vouloir se tarir. Les familles vivent dans la promiscuité de l'étroitesse de leurs logements, elles sont empêtrées dans le dénuement et l'humiliation… La liste peut être allongée. Trois millions de pauvres en Algérie. Un chiffre annoncé par le ministère de la Solidarité nationale, juste après les discours du Premier ministre… A part cela, tout va bien. Un constat partagé par les parlementaires des chapelles acquises et qui fait plaisir au Premier ministre. Les élus du peuple ont donné un satisfecit au gouvernement. Ils vont sans doute, à nouveau, violer l'article 160 de la Constitution et voter le projet de loi de finances qui va, sous peu, leur être présenté. Un vote qui va renforcer l'autisme dans lequel s'est installé le régime au pouvoir.