La charte pour la paix est-elle inapplicable ?Il y aura certainement des textes d'accompagnement pour la charte, mais cela peut prendre des mois et la dernière décision revient au président de la République », a dit le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, lors d'une émission de la télévision. « Ils sont au stade de la réflexion », d'après le ministre de la Solidarité, M. Ould Abbas, dans une déclaration à la radio, il y a quelques jours. « Laisser le temps au temps », a tranché mardi le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, en marge du débat sur la loi de finances à l'APN. La curiosité de l'opinion publique nationale ne semble donc pas près d'être satisfaite à propos de ces textes législatifs qui devraient traduire la quintessence de la charte sur la paix et la réconciliation. Adoptée par voie référendaire à hauteur de 97% selon les chiffres officiels le 29 septembre dernier, la charte reste encore en veilleuse en attendant la promulgation des instruments juridiques qui devraient codifier son application. Et c'est justement à ce niveau que se pose la question puisque aucun délai ni aucune indication n'ont été communiqués officiellement quant à l'élaboration de cet arsenal législatif. Plus d'un mois après l'onction populaire, l'opinion publique, la classe politique et même le gouvernement sont suspendus à une hypothétique précision du président de la République. Tout se passe comme si Abdelaziz Bouteflika est seul habilité à aborder ce sujet sensible. Il n'est pas fortuit de noter que le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia a pris le soin de préciser que « le dernier mot revient au président ». S'agit-il ici d'un aveu que la consécration juridique de la charte pose problème quelque part ? Ou encore Ouyahia voudrait-il s'en laver les mains par rapport à une question éminemment stratégique pour se sortir de l'embarras ? De fait, le retard mis dans le lancement de la machine législative post-référendum traduit sinon une hésitation du moins un malaise facilement décelable dans les déclarations aussi évasives que prudentes des uns et des autres. Un grand point d'interrogation entoure ces textes qu'on annonce tantôt au stade la réflexion et tantôt objet de groupes de travail installés par le Président. Hier, au ministère de la Justice, on n'a pu glaner grand-chose. La responsable de la communication a précisé qu'« il y a certainement des groupes de travail qui planchent dessus ». Qui planchent ? Et quelle est la substance juridique de ces textes ? Notre interlocutrice n'en dira pas plus, puisque elle-même n'est pas au courant. « Je ne peux pas vous dire plus que le ministre n'en a dit », affirme-t-elle à juste titre. En effet, Tayeb Belaïz, qui a demandé aux journalistes de « laisser le temps au temps » parce que « ce sont des mesures qui demandent de la patience », donne déjà un aperçu sur le timing. Ces textes si importants pour la démarche du Président mais surtout qui engagent l'avenir politique du pays ne seront pas pondus demain la veille. Ils risquent même d'être mis sous le coude selon certaines sources, en attendant de trouver une argutie juridique qui permette d'éviter certaines dispositions très embarrassantes. Si, en l'occurrence, la réconciliation dans son acception populaire est globalement acceptée par tout le peuple algérien, tel n'est pas le cas de ses implications sur le terrain. Le retour sur scène des anciens terroristes et de leurs mentors politiques, à l'image de Heddam, et de nature à heurter la sensibilité des familles de leurs victimes. Aussi, les observateurs ont du mal à comprendre comment les autorités vont-elles procéder pour séparer le vrai terroriste de l'égaré, celui qui a commis de meurtres individuels et l'auteur de massacres collectifs. Par quel mécanisme, juridique, policier ou autre le gouvernement va-t-il s'appuyer pour cataloguer les terroristes, les repentis et les disparus selon leurs « bas » faits d'armes ? Va-t-on rééditer l'expérience des fameuses commissions de probation qui n'ont jamais siégé et qui plus est n'ont pas fait le bilan de leurs actions ? Ce sont autant de questions qui rendent forcément l'application concrète des dispositions de la charte aléatoire. Mais la « patience » recommandée par le ministre de la Justice a certainement des limites. Cette réconciliation, sur laquelle repose pratiquement tout le second mandat du Président, conditionne par extension l'effort national de développement économique, politique et social. Il est loisible de deviner la position inconfortable des autorités, coincées entre le souci d'en finir avec ce lourd passif et celui de ne pas se mettre à dos les familles des victimes de la tragédie nationale. Il y a également ce souci d'éviter que le piège de la charte ne se referme sur ses concepteurs en ce sens que l'Algérie a ratifié toutes les conventions internationales qui proclament « l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité ». Et quand on sait que le génocide commis en Algérie entre dans ce chapitre et que la charte vise justement à absoudre ses auteurs, on comprend cette attitude résistante des autorités. Y a-t- il donc blocage au sommet ?