Kamel Boufroum, élève du grand maître du chaâbi, El Hadj M'hamed El Anka, lui rend hommage à travers cet entretien. -Kamel Boufroum, vous, enfant de La Casbah d'Alger, semblez avoir un point d'attache très fort dans l'espace chaâbi. Est-ce cela qui explique ce retour remarqué ? Je suis né le 15 avril 1951 à La Casbah d'Alger plus précisément à Zoudj Ayoun, c'est là où j'ai écouté les premières notes musicales de notre patrimoine culturel, interprété par nos grands maîtres durant mon jeune âge. J'ai été imprégné par cette richesse pendant toute mon enfance, et c'est ce qui explique ma réussite au concours de musique chaâbie organisé au Conservatoire municipal d'Alger, devant des maîtres éminents, en l'occurrence Mahieddine Bachetarzi, Mustapha Skandrani et El Hadj M'hamed El Anka. Ce dernier m'a permis d'avoir une base satisfaisante et m'a aidé à maîtriser cet art dans le meilleur des cas. A la fin de 1972, le maître ayant pris sa retraite du conservatoire, j'ai rejoint alors l'orchestre andalou, qui, à cette époque, était dirigé par le défunt El Hadj Mohamed Mazouni, aux côtés de Smaïn Hinni, Bachir Mazouni, Noureddine Saoudi et bien d'autres qui m'ont accompagné durant ma carrière artistique. J'ai eu l'honneur d'être cité parmi les meilleurs élèves d'El Hadj M'hamed El Anka dans le livre écrit par le défunt Rabah Saâdallah. En plus de cela, le premier prix m'a été décerné par le Comité des fêtes de la ville d'Alger lors du concours organisé en 1984, sans oublier les grands moments où j'ai eu le privilège d'être programmé parmi des artistes d'envergure tels que Amar Ezzahi, Chaou Abdelkader, Dahmane El Harrachi pour ne citer qu'eux. -Vous vous êtes investi totalement dans le mouvement associatif. Des enseignements... J'ai pris ma retraite proportionnelle à l'âge de 50 ans, à la Naftal de Annaba, là où je réside avec ma famille depuis 1987. Au début, je me sentais un peu isolé, et au bout de 2 ans, j'ai rencontré un cheikh très sympathique de la chanson chaâbie, Mohamed Djemili, avec lequel j'ai lié une amitié sincère. D'ailleurs, c'est lui qui m'a replongé dans le bain et m'a incité à former la première troupe andalouse dans le style Cordoue, première du genre dans la wilaya de Annaba en novembre1989, au palais de la culture Mohamed Boudiaf. Par la suite, d'autres associations du même style virent le jour, à l'instar de l'association El Kourdia qui a réalisé un travail de fond avec beaucoup de mérite auprès des jeunes. En avril 2002, j'ai pris contact avec cheikh Hamdi Benani avec lequel j'ai eu un entretien approfondi sur la situation de la musique chaâbie à Annaba et en particulier les jeunes talents des débuts des années 1990. Et à partir de ce moment, nous avions décidé de produire des galas avec retransmission en direct à la radio locale. Alors, j'ai constitué un grand orchestre chaâbi (actuellement Orchestre professionnel de la musique chaâbie auprès de la wilaya), avec lequel je préparais une programmation de 6 chanteurs tous les 15 jours, et c'était la clé de départ d'une prise en charge sérieuse des jeunes talents de la musique chaâbie à Annaba. En janvier 2003, j'ai créé la première association chaâbie à Annaba El Anka (Le phénix) sous la présidence de Hamza Omar avec 158 musiciens et chanteurs dont j'ai été le directeur technique. Cet ensemble a été divisé en trois parties. 1) Un orchestre pour chanteur individuel composé d'une quinzaine de musiciens sous la direction de Hacen Bouzebda, c'est l'orchestre qui a été créé auparavant sous l'égide de l'UNAC avec Hamdi Benani. 2) Un orchestre de chœurs d'environ 50 musiciens et chanteurs que je dirigeais avec amour et passion, avec un programme riche d'une technique particulière dans un style qu'on surnommait (Rbitt el qalam oue chttaret el san) que El Hadj El Anka et El Hadj Menaouer interprétaient en direct de la station de Radio d'Alger durant les années 1950. 3) Une classe pour les jeunes apprenants que je prenais en charge. Notre première représentation à la salle de théâtre Azzedine Medjoubi en date du 1er mai de la même année fut un véritable succès dans une salle archicomble avec plus de 1400 personnes. En dépit des contraintes sur lesquelles butent les artistes à Annaba, votre retour sur scène, comme dans les grands jours, est vital… Avec la dernière association nommée Edough musique andalouse et chaâbi que je présidais et avec laquelle j'ai fait une émission radiophonique avec débats sur la chronologie de l'histoire du chaâbi. Grâce à la participation et l'aide particulière de l'historien chercheur autodidacte Medjahed Abderrahmane dit «Bihmane» et à un travail assidu de jeunes espoirs, nous avions pu réaliser une émission hebdomadaire intitulée «Hedret el Oualeïn» et qui avait eu un très grand succès auprès des auditeurs, à la radio locale depuis son lancement le 28 février et jusqu'au 29 juin 2005. En parallèle, un programme andalou de niveau appréciable, à l'exemple de Noubat el hsine qui m'a été offerte par mon ami et frère Smaïn Hinni et avec laquelle nous nous sommes produits au Festival andalou dans la wilaya de Laghouat, en mai 2007 et en présence de Abdelkader Bendamache, représentant du ministère de la Culture, à qui je rends hommage pour le soutien qu'il m'a apporté au début de mes engagements en 2002. Il peut témoigner du succès que nous avions eu auprès des grandes associations, à l'exemple d'El Djazira et de certains membres fondateurs d'El Fakhardjia, alors qu'à Annaba, je rencontrais énormément de problèmes depuis mon engagement sur le terrain, même au sein des personnes de mon entourage en qui j'avais confiance, ce qui explique mon découragement. J'ai pu les surmonter avec beaucoup de difficultés en le payant de ma santé et c'est pour cette raison que j'ai démissionné six mois avant l'expiration de mon mandat, prévu le 17 août 2008. Aujourd'hui, je me suis reconstruit grâce à ma famille et je me sens très fier d'avoir donné ce minimum durant ces modestes années de ma vie sans contre partie, à ce patrimoine national qui m'est très cher. Il faut dire aussi que le chaâbi à Annaba est devenu important, suite à sa propagation durant ces dernières années, sans oublier qu'en 2006, lors du Festival national organisé par le ministère de la Culture, il a été classé 2e après Alger. Maintenant, j'ai repris la scène en tant que chanteur chaâbi comme en 1970, tout en préservant l'âme de la chanson chaâbie. J'ai fait un ballon d'essai et le public annabi m'a redonné confiance en moi et m'a permis de revivre une seconde jeunesse.