Trois décennies sont passées depuis le trépas le 23 octobre 78 de l'une des figures légendaires de notre chaâbi, El Hadj M'hamed El Anka à l'âge de 71 ans ( 1907-1978). L'Etablissement Arts et Culture de la wilaya d'Alger qui s'intéresse de près au patrimoine lyrique chaâbi, a inscrit déjà et depuis quelques années sur son planning culturel, les grandes dates anniversaires qui se rapportent aux hommes et aux femmes qui ont légué quelque chose pour la postérité. C'est ainsi que cette structure a abrité hier au sein de l'auditorium de son complexe culturel Laâdi Flici (Théâtre de verdure), une journée d'étude autour du thème "Le chaâbi et la ville" afin de célébrer le 30e anniversaire de la disparition de l'un des maître du chaâbi. Ce rendez-vous qui a réuni une kyriellede d'historiens, d'archéologues, de musicologues, d'écrivains et de journalistes, se voulait un grand moment de débat et de partage autour des noms qui ont façonné ce style musical résolument populaire. La fête proprement parler qui accompagnera cet hommage a été prévue hier et aujourd'hui, toujours au niveau de l'auditorium Laâdi Flici avec une ribambelle de chanteurs dont Abdelkader Chercham, Kamel Bourdib, Djamel Bensamet, Nourredine Allane, Mustapha Belahcène, Youcef Benyaghzer et Youcef Liamine."La commémoration, chaque année, de la date- anniversaire de la disparition d'El Hadj M'hamed El-Anka, est une grande occasion pour l'établissement Arts et Culture de rendre hommage à ce maître qui a marqué de son empreinte cette musique qui continue de combler des multitudes d'amateurs de tout âge", indique l'organisateur.El Hadj M'hamed El-Anka, virtuose de la chanson chaâbie, appelé par ses inconditionnels "le Cardinal", a laissé une oeuvre qui continue à bercer les mélomanes de ce genre de musique, foncièrement algérois (citadin), qu'il a pu, en l'espace d'un demi-siècle, populariser en Algérie et dans les pays du Maghreb. Inséparable de son tarbouche rouge comme le sang, et de sa moustache fine comme un soupçon, El Hadj M'hamed El Anka est originaire d'Azzeffoun, ce village kabyle dont la terre fertile a enfanté tant d'artistes comme les Rouiched, Tahar Djaout et compère. Le jeune qui pour l'Etat civil était Aït Ouarab Mohamed Idir Halo, a fait ses apprentissages artistiques dans les années 1920 aux côtés du maître, Cheikh Nador. A cette époque, il ne s'était nullement contenté de reproduire les chants religieux des aïeuls, souvent fixés dans ce Moghrabi, hérités de la musique sacrée arabo-andalouse, mais il partit au-delà. Monovocal par excellence, ce style ne sortait pas des jardins flamboyants des bourgeois, défenseurs de la chose sacrée. Issu du peuple, El Anka qui est né en 1907 au cœur d'une Casbah d'Alger bouillonnante d'histoire et de vestiges aura le génie de bousculer un ordre lyrique profondément ancré dans une société conservatrice et pieuse. La mort en 1926 de Cheikh Nador, le maître absolu des orchestres et des troupes de l'époque, débridera l'élève El Anka qui reprendra le trône de son défunt mentor, Cheikh Nador. Mémoire infaillible, sens aiguisé de l'ouïe, El Anka explorera d'autres espaces musicaux, ceux qui touchent le peuple, ouvrier ou manœuvre, portefaix ou exilé volontaire. El Anka démocratisera cette musique qui fut sacrée, et la rendra ainsi accessible aux petites gens. Les rythmes d'El Anka ne seront plus à sens unique, monovocaux, mais deviendront plus soutenus, plus allégés et plus audibles pour le peuple qui n'avait pas au départ accès à la chose lyrique profondément sacrée et savante, donc confinée dans les espaces clos des rois et notables. Il avait 20 berges ans quand il aura le génie d'injecter du sang neuf à cette musique devenue quelque peu archaïque. Et le chaâbi, ce nouveau genre, qui sortira des espaces clos des cafés, et qui racontera la réalité miséreuse du peuple, naîtra. Précurseur de ce genre musical qui a, depuis, évolué et est apprécié dans les arènes du monde, El Anka l'immortel laissera, à la postérité, pas moins de 360 qacidates et 130 disques.