Quarante-huit heures après la fermeture des bureaux de vote, la Haute commission électorale des législatives égyptiennes n'a pas encore rendu officiellement les résultats du premier tour. Le Caire (Egypte). De notre envoyé spéical
Prévue à 20h (19h GMT), l'annonce est retardée de quelques heures en raison du retard dans l'acheminement des urnes. Mais les sources proches de cette Commission donnent le Parti national démocratique (PND) au pouvoir largement en tête avec plus de 150 sièges. Ces résultats confirment la déroute spectaculaire des candidats islamistes des Frères musulmans qui n'ont obtenu aucun siège. Les autres partis ont obtenu de 1 à 7 sièges. Les résultats de ce premier tour sont largement contestés, ce qui n'est pas pour rassurer l'opposition et la rue égyptienne. Bien au contraire. La vague de violences provoquée par les graves irrégularités qui ont entaché le déroulement des législatives égyptiennes monte d'un cran et la colère de l'opposition, laïque et islamiste, ne fait que commencer. Plusieurs villes du pays ont connu, deux jours après le scrutin, des violents affrontements entre partisans de partis rivaux et aussi contre les forces de sécurité, faisant des victimes de part et d'autre. Le bilan provisoire a atteint hier, neuf morts dont trois par balle et des centaines de blessés, selon la presse locale. La police a procédé à des centaines d'arrestations parmi les manifestants ; nombreux parmi eux sont partisans de l'organisation des Frères musulmans. Et si le pouvoir égyptien a tenté de minimiser l'ampleur des dégâts politiques et humains causés par une élection «des plus pires de l'histoire du pays où la fraude a été pratiquée à ciel ouvert et devant des magistrats commis d'office pour surveiller l'opération électorale», la rue égyptienne ne compte pas se laisser faire. Le témoignage d'un magistrat, Walid Eshafaî, désigné d'office pour la surveillance des élections, fait l'effet d'une bombe au Caire. Il a été tout simplement empêché par des officiers de police d'opérer des contrôles dans les centres de vote dans la circonscription de Baderchine, dans le district d'El Jiza (Caire) où il était chargé de contrôler le déroulement de l'élection. «J'ai été alerté par des délégués que des individus empêchaient les électeurs d'entrer dans les bureaux de vote sous le regard de la police. Quand je me suis déplacé dans un centre, j'ai surpris une femme en train de remplir les urnes avec des bulletins de vote. Ne sachant comment réagir, l'officier de police m'a retenu en me subtilisant ma carte (…) ce qui s'est passé ce jour-là est loin d'être un acte isolé. Des directives avaient été envoyées d'en-haut pour frauder, bourrer les urnes et terroriser les électeurs dans les circonscriptions où le Parti national démocratique est minoritaire», a témoigné le magistrat. Un scandale national. Les Frères musulmans menacent de boycotter le deuxième tour Mais le régime qui dirige le pays d'une main de fer, depuis notamment l'instauration de l'état d'urgence en 1981, reste insensible à la colère interne tant qu'il est à l'abri des pressions extérieures, américaines notamment. Seulement, les graves irrégularités qui ont caractérisé l'élection de dimanche passé et la violence qui l'a accompagnée ont fait réagir le département d'Etat. Dans un communiqué rendu public hier, les Etats-Unis se sont déclarés «déçus et consternés par des informations qui font état de nombreux cas de violence et d'irrégularités», estimant qu'«elles mettent en cause la transparence du processus». Washington a appelé les observateurs internationaux à «contrôler et à rapporter librement les faits qui se sont déroulés lors de ce scrutin». Le porte-parole du département d'Etat, Philip Crowly, a déclaré : «Nous sommes déçus par les rapports concernant les obstacles aux activités des candidats de l'opposition pendant la période préélectorale et les arrestations de leurs partisans, de même que par l'empêchement fait aux médias d'accéder à quelques représentants de l'opposition. Nous sommes également consternés par les observations d'intervention et d'intimidation des forces de sécurité.» Le département d'Etat a mis en garde l'Egypte contre la poursuite de «la politique violente pour régenter la société égyptienne. Une politique qui risque de conduire le pays vers une série de violences». Pour mettre plus de pression sur le régime Moubarak, le Parlement européen a, de son côté, appelé l'Egypte à plus de respect envers les forces politiques d'opposition. Réagissant au scrutin législatif de dimanche, le président du Parlement européen, Jerzy Ouzik, a estimé que «le gouvernement égyptien doit revoir ses calculs dans son attitude vis-à-vis des parties politiques. Il doit protéger les voix de l'opposition comme il le fait pour protéger celles de ses partisans». Voilà qui pourrait tempérer un tant soit peu l'appétit vorace d'un pouvoir qui use de l'arbitraire pour réduire à néant tout les voix de l'opposition. Le PND est passé tel un rouleau compresseur à l'occasion du premier tour des législatives, foulant aux pieds les règles les plus élémentaires d'une compétition démocratique. Le clan Moubarak veut imposer un Parlement sans opposition aucune. En dehors de Mohamed El Baradei qui a réussi à fédérer autour de lui une grande partie de l'opposition démocratique et laïque au sein de Front national pour le changement, Gamaât El Ikhwan (les Frères musulmans) était la seule force politique capable de lui poser de sérieux problèmes. Mais cette formation est sortie dès le premier tour. Zéro siège, elle qui en occupait 88 dans la précédente législature. Les Frères musulmans espèrent obtenir quelques sièges au second tour, prévu pour le 5 décembre, au cas où ils ne décident pas de le boycotter. «Nous sommes en train d'étudier toutes les possibilités pour le deuxième tour. Le choix de ne pas y aller reste plausible, étant donné que le régime a décidé d'éliminer toutes les forces de l'opposition, dont les Frères musulmans», a déclaré, hier le dirigeant de la Gamaâ, Mohamed Badaî, lors d'une conférence de presse. En somme, le feuilleton dramatique des législatives égyptiennes est loin d'être terminé. La tension reste vive, la campagne pour le deuxième tour s'annonce comme la seconde mi-temps d'un violent match dont les résultats sont soigneusement arrangés en haut lieu.