Victimes du chômage, marginalisés dans les entreprises nationales et incapables de monter leurs propres affaires dans un pays où les outils de l'économie de marché tardent à se mettre en place, les compétences algériennes sont contraintes de tenter leur chance sous d'autres cieux ou à attendre une éventuelle embellie du climat des affaires pour monter leurs propres entreprises dans leur pays Si, il y a plus de vingt ans, ces départs ne concernaient que les scientifiques de haut rang, l'émigration des cadres algériens a pris une tournure plus dramatique au cours de ces vingt dernières années, en affectant tout le champ des élites qu'elles soient scientifiques, littéraires, artistiques et managériales. Des milliers cadres dirigeants d'entreprises publiques formés à grands frais par l'Etat algérien sont ainsi partis à l'étranger pour créer leur propres entreprises ou encadrer celles des autres, privant le pays d'un savoir faire et d'une capacité d'entreprendre sans pareils à l'échelle africaine. La réussite de nombreux compatriotes en dehors de leur pays d'origine montre, à l'évidence, que lorsque les mécanismes du marché fonctionnent et que l'Etat de droit existe les algériens sont en mesure de créer et de gérer avec compétence diverses activités. La marginalisation et les échecs professionnels que la plupart d'entre eux y avaient subis avant de se faire une place au soleil à l'étranger montrent, à contrario, que la réussite professionnelle est beaucoup plus hypothétique dans un pays où les mécanismes du marché et l'Etat de droit n'existent pas, quand bien même ces cadres disposeraient d'une compétence hors du commun. Vingt années de reformes économiques et sociales n'ont, en effet rien changé au mode de désignation des cadres dirigeants des entreprises publiques qui reste aussi hasardeux et clientéliste qu'il l'était du temps où les entreprises publiques étaient placées sous la tutelle de ministères. Les PDG accumulant plusieurs exercices comptables déficitaires sans jamais être inquiétés continuent, aujourd'hui encore, à sévir dans ces sociétés grâce à leurs appuis, bloquant ainsi l'alternance au profit de cadres mieux formés qui, las d'attendre, rejoindront, pour certains, le secteur privé national pour monter leurs propres affaires ou pour y servir en tant que cadres ou pour carrément rejoindre les rangs des élites expatriés dans ces pays de prédilection que sont la France, la Suisse, la Belgique, le Canada et les Etats-Unis d'Amérique. Une centaine de milliers de chefs d'entreprises d'origine algérienne auraient ainsi été recensés pour le seul continent européen, par un institut français de statistiques au milieu des années 2000. Ces entreprises de droit français et de divers statuts juridiques (SARL, SPA, sociétés anonymes, etc.), ainsi créées, dépasseraient aujourd'hui allégrement ce chiffre, pour au moins deux raisons majeures. Il y a d'abord l'installation massive, en France notamment, de cadres algériens marginalisés dans leur propre pays, mais suffisamment bien formés pour créer dans le pays d'accueil des entreprises à la mesure de leurs compétences, de leurs moyens et de leurs ambitions. Il y a également les riches entrepreneurs installés en Algérie, de plus en plus nombreux à chercher un pied à terre à l'étranger pour leurs enfants, en leur créant des sociétés devant principalement servir au financement de leur scolarité et de leur train de vie, dans le pays d'accueil. Un climat des affaires repoussoir Si les terrains de prédilection des entreprises créés à l'étranger sont, assurément , le commerce et la distribution, les algériens expatriés sont également fort nombreux à investir dans des activités aussi variées que l'industrie électronique, l'agroalimentaire, l'informatique, les transports, le négoce, l'expertise comptable, l'hôtellerie, et même les médias lourds. L'écrasante majorité de ces chefs d'entreprises a pour caractéristique d'avoir gravi les échelons de la réussite économique et sociale par la seule force de leur volonté, favorisée, il est vrai, par l'existence dans le pays d'accueil d'un véritable Etat de droit et de mécanismes de marchés transparents et bien huilés, qu'ils n'ont pas eu la chance d'avoir dans leur pays d'origine. Placés dans les conditions de travail qui prévalent actuellement en Algérie, ces derniers auraient été certainement conduits à être moins performants et, dans de nombreux cas, contraints à l'abandon si ce n'est à la faillite, en raison de barrières bureaucratiques qu'elles auraient eu bien du mal à franchir. Persuadés que la contrainte majeure réside précisément à ce niveau, les cadres marginalisés en quête de conditions favorables à la création d'entreprises personnelles sont d'ailleurs constamment à l'écoute d'éventuels changements qui pourraient améliorer le climat des affaires dans leur pays pour sortir de la marginalisation à la quelle le secteur public rentier et clientéliste les a relégués. S'agissant des cadres expatriés, on sait à travers les propos recueillis par les médias algériens, que si la plupart d'entre eux excluent, pour le moment, le retour définitif au pays, leur souhait quasi unanime est de commencer à faire dans l'immédiat quelque chose pour commencer déjà y mettre pied. Les retombées positives de certaines infrastructures en cours de réalisation, comme l'autoroute Est-Ouest, le Cyberpark de Sidi Abdellah et autres équipements structurants, constituent en effet pour eux, comme pour les cadres marginalisés résidants encore dans leur pays, autant d'espoirs de promotion d'affaires en Algérie. Pratiquement tous les cadres marginalisés d'entreprises que nous avons interrogés ont en tête un ou plusieurs projets d'investissement à réaliser pour peu que l'environnement des affaires s'améliore durablement. C'est dire l'importance du potentiel de créateurs d'entreprises que constituent les cadres algériens marginalisés.
- Djamila Fernane. Post-graduante en management Université de Tizi Ouzou