Derrière les mines enjouées de ces acteurs du monde de la phoeniciculture, se dissimule une sourde colère que ne peuvent apaiser les mesures annoncées par le ministère de l'Agriculture. Après une éclipse de plusieurs années, la fête des dattes est revenue cette année, à l'initiative de la direction de l'agriculture de Biskra. Plusieurs producteurs de différentes variétés de dattes et de produits maraîchers des oasis, des opérateurs économiques activant dans le commerce, le conditionnement des produits agricoles ou la distribution et l'exportation des dattes, ont investi, les 12 et 13 décembre, les galeries du centre commercial El Kheïr de Biskra afin d'y exposer leurs produits. Des dizaines de visiteurs ont pu, en déambulant à travers les couloirs et les stands bien achalandés, se faire une idée des progrès, tant quantitatifs et qualitatifs, enregistrés par le secteur agricole de Biskra. Des dattes de toutes les formes et couleurs, des produits ; jus, rob, miel et pâte à gâteau, dérivés de cette baie aux vertus alimentaires, gustatives, vitaminiques et économiques qui ne sont plus à démontrer, ainsi que des produits des maraîchers. Même si de nombreux visiteurs ont estimé que «deux jours ne suffisent pas pour célébrer les vertus intrinsèques de la datte et mettre en avant les résultats obtenus dans le domaine de la phoeniciculture et des cultures maraîchères dans la wilaya de Biskra», ils reconnaissent néanmoins que cette exposition qui aura duré quelques heures puisque, dès la matinée du second jour, la plupart des exposants avaient déjà ramassé leurs affaires et quitté les lieux, « aura eu le mérite d'exister». Désarroi et colère des agriculteurs De nombreux exposants ont salué les efforts entrepris par les pouvoirs publics pour sortir le secteur agricole du marasme et de la désorganisation générale. «Les ambitions de l'Etat de faire de la datte le catalyseur de tout le secteur agricole national sont indéniables et méritoires mais bien des obstacles jugulent encore notre volonté de développement», déclareront d'une même voix des producteurs, des responsables d'unités de conditionnement et des exportateurs de dattes. En effet, ils se montrent loquaces et avides de dire leur malaise « né du sentiment d'être abandonnés à (leur) difficile sort ». A l'évidence, derrière les sourires et les mines enjouées de ces acteurs du monde de la terre et de la phoeniciculture, se dissimulent un immense désarroi et une sourde colère que n'apaisent pas les différentes mesures annoncées par le ministère de l'Agriculture et du développement rural en leur faveur. L'indication géographique localisée de la production de dattes de 10 communes de la wilaya de Biskra, la mise en place de l'interprofessionnel des producteurs de dattes et différents autres dispositifs d'encouragement et d'accompagnement financiers et techniques, ne sont, pour eux, que «des mesurettes inefficientes ne répondant pas aux véritables aspirations des fellahs, ni aux termes des contrats de performance signés avec les wilayas, pas plus qu'elles ne permettent de relever le défi d‘arriver à l'autosuffisance alimentaire», selon leurs propres termes. Des perspectives de développement obérées Certains évoqueront, pour expliquer le marasme dans lequel se trouve le monde agricole, l'arrêt des aides et des mesures de soutien publiques, le gel des crédits et la distribution parcimonieuse des terres à vocation agricole. D'autres exprimeront leur réprobation concernant la décision d'avoir absous les agriculteurs de rembourser une partie de leurs dettes. K. Abdenour, chargé des affaires agricoles au sein du Groupe Tahraoui, lequel est un des plus gros investisseurs dans le secteur agricole local, mettra l'accent sur le déficit en ouvriers agricoles qui « obèrent toutes perspectives de développement et empêchent de rentabiliser les immenses serres, chapelles érigées dans plusieurs communes de la wilaya», selon ses mots. Le problème de la raréfaction des ouvriers agricoles qualifiés sera repris par Y. Abdelmadjid, patron de la Maison des dattes, entreprise de conditionnement et de commercialisation des dattes ayant pignon sur rue à Biskra. Il dira: «Bientôt, il nous faudra recourir à la main-d'œuvre agricole étrangère pour continuer de produire. Les jeunes algériens ne veulent plus travailler la terre et encore moins être embauchés comme ouvrier agricole.» La suppression du «couloir vert», ce dispositif n'ayant vécu que quelques mois, qui permettait aux exportateurs de dattes de s'acquitter des procédures douanières en un laps de temps assez court et de bénéficier de facilitation au niveau des ports, l'absence d'interlocuteur fiable, dans les ambassades et les représentations consulaires, capable de résoudre les problèmes des exportateurs hors frontières, l'annonce de chiffres et la publication de statistiques erronées sur les quantités de dattes produites et de Deglet Nour exportées, sur le nombre de palmiers dattiers plantés, en production, arrachés ou ravagés par les flammes et de nombreux autres sujets ayant trait au secteur phoenicicole, ont été longuement débattus avec ces gens de la terre, qui en ont gros sur le cœur.