Marra Oukhra, le premier long métrage du cinéaste syrien Joud Saïd, tente, d'une manière artistique, d'exprimer sur une certaine haine-passion entre la Syrie et le Liban, deux voisins qui n'ont d'autre choix que de vivre ensemble. Oran De notre envoyé spécial Le rapport entre la Syrie et le Liban n'est jamais clair. Un jour l'amour, l'autre la haine et demain le retour à la case départ. La guerre qui a rassemblé et a divisé ces deux pays voisins est, d'une manière ou d'une autre, présente dans les esprits. La paix devient parfois accessoire. Marra oukhra (Encore une fois) du jeune cinéaste syrien Joud Saïd, projeté mardi soir à la salle Maghreb à la faveur du 4e Festival international du film d'Oran (FIFAO), tente de montrer que le passé conditionne le présent. Majed (Quaïs Scheikh Najib), fils d'un commandant des forces syriennes au Liban, perd dès son jeune âge sa mère, tuée par un sniper à Beyrouth à la place de son père. A-t-on un jour élucidé le mystère des «snipers» libanais ? Majed vit alors parmi les militaires stationnés au Liban en 1982. Cette année-là, l'armée israélienne avait engagé l'opération «Paix en Galilée» qui avait abouti au siège et au bombardement de Beyrouth pour forcer l'OLP à quitter la ville. Les troupes syriennes, qui étaient entrées au Liban six ans auparavant, ont eu des affrontements avec les Israéliens et des phalangistes libanais. Elevé par Abou Saïd, aide de camp de son père, et par les sœurs chrétiennes, Majed ne verra que les armes, les tenues kaki et les bruits des accrochages à l'artillerie. Jouant avec un pistolet-mitrailleur, il se blesse à la tête et tombe dans le coma pendant des années. A son réveil, il perd la mémoire puis son père. Il est ensuite mis sous la protection d'un général, ami de son père, qui veille sur lui au point de l'étouffer à son âge adulte. Il essaie de vivre une histoire avec Kinda qui semble aimer un arbre creux. Majed n'exprime pas ses sentiments, ne peut pas savoir s'il aime ou s'il déteste, adopte le silence comme une seconde nature et paraît fuir sa propre personne. Vivant dans un appartement bourré d'électronique sur les hauteurs de Damas, il passe son temps à jouer au video game d'un… sniper qui tue à tout bout de champ. Et voilà qu'arrive Joyce, une Libanaise qui prend la direction de la banque où Majed travaille. Rapidement, une relation amoureuse s'établit entre eux. Le tumulte rattrape cette relation. Joyce, veuve et mère d'une fille, Gretta, a perdu son père, tué par les Syriens. Joyce apprend que Majed est fils d'un militaire qui avait mené des troupes au Liban. Et c'est le froid qui s'installe. Jusqu'à la Coupe du monde football, puis l'attaque israélienne contre le Liban l'été 2006. Joud Saïd a fait une sorte de clin d'œil avec le Mondial et l'attitude de l'Etat hébreu vis-à-vis du Liban. En 1982 et en 2006, l'Italie a gagné la Coupe du monde. Ces deux années-là ont été également celles d'une invasion israélienne du Liban. En 2006, Encore une fois, la guerre donc. Cela a, paradoxalement, le mérite de rapprocher Joyce de Majed ; les deux appartiennent à la nouvelle bourgeoisie. Avec sa sœur, Joyce retourne au Liban à travers la frontière terrestre, aidée par Majed. Planté sur un pont, sous une lumière nocturne bleutée, il ne peut avancer ni reculer. Il est suspendu entre le passé et l'avenir. La guerre a fait de lui un homme sans destin, presque sans cœur. Marra oukhra n'est pas une fiction politique, et n'a pas la prétention de recycler les mêmes discours ni de «cadrer» le regard sur les rapports libano-syriens. Bâti comme une histoire, avec des va-et-vient incessants entre le passé et le présent, le film tire probablement cette force d'un jeu personnel, engagé, des acteurs tels que Abdulatif Abdulhamid, Pierrette Katrib et, bien entendu, Quaïs Scheikh Najib. Techniquement, Joud Saïd a suivi à la lettre les règles du 7e art, mais la densité de son scénario l'a amené à négliger certains aspects esthétiques, mais pas au point de rendre le film sans âme. Il y a une forte volonté de faire du cinéma, presque à l'ancienne, mais avec un regard neuf, celui d'un jeune de 30 ans qui vit l'époque de l'internet (fort présent dans la fiction) et des communications rapides, sinon éphémères. «L'avenir commence lorsqu'on comprendra le passé et savoir pourquoi on en est là», a déclaré Joud Saïd lors du débat qui a suivi la projection. «La politique dans nos pays fait partie de notre quotidien et entre dans les détails. Je ne crois pas que le film soit politique», a-t-il ajouté. Le film, selon lui, n'a pas la prétention de trouver des solutions aux relations entre la Syrie et le Liban. Il s'est félicité de l'émergence d'une nouvelle génération de cinéastes dans le monde arabe où 60% de la population est composée de jeunes. Joud Saïd est auteur de deux courts métrages, Monologue et Adieu. Marra Oukhra, son premier long métrage, a déjà décroché deux prix au Festival de Damas et de San Francisco. Il participé aux dernières Journées cinématographique de Carthage (JCC) à Tunis et au Festival de Dubaï.