«L'avenir commence quand on connaît bien son passé. On veut que j'apporte des solutions aux relations syro-libanaises. Mon rôle n'est pas de résoudre les problèmes», dira Joud Saïd, le réalisateur du film Encore une fois, projeté mardi dernier. La 4e édition du Festival du film arabe touche à sa fin. Des films en compétition continuent à susciter des questionnements et rapporter en pellicule les préoccupations des sociétés arabes. L'émotion ne passe pas forcément par les longs discours. Mais arrive à être ressentie par un seul battement de cils. Le regard que portent nos cinéastes sur leur société est parfois sans concession, critique, tendre ou méditatif. Qui mieux qu'un film pour traduire le rythme de nos inquiétudes et exprimer nos incertitudes? Le cinéma n'est-il pas la vie elle-même? L'écriture cinématographique apparaît dans ce cas bien ardue. Une réflexion doublée d'une gageure qui peut toucher ou non la personnalité des spectateurs. Montrer ou ne pas montrer, décrire, suggérer ou juste effleurer du bout du doigt l'inspiration de l'être humain. Les mots, quand ils sont mis en scène, rendent tangible l'univers qui nous entoure. Traduite en images, cette magie est une chance pour un réalisateur. La vie, ses tourments et son lot de complexité ne sont pas faciles à dire dans un film. Tout le pari réside dans cette maîtrise du langage cinématographique. Joud Saïd au regard azur, est un jeune réalisateur syrien de 30 ans qui signe avec Encore une fois son premier long métrage après s'être essayé au court métrage. Encore une fois montre, décline en flash-back la vie d'un jeune Syrien pas toujours rose. Fils d'un grand officier de l'armée syrienne au Liban, Majed a grandi en vivant les batailles absurdes de son père, dont l'invasion israélienne en 1982. Il a perdu sa mère dans un attentat qui ciblait son père. Majed est un écorché vif qui est passé par maintes péripéties. Son passé brutal le rend insensible, distant. Blessé à la tête lorsqu'il était enfant, il passera plusieurs années dans le coma. Il gardera des séquelles au point de devenir amnésique. Il est envoyé en Angleterre pour faire des études en informatique. En 2006, il est cadre dans une nouvelle banque en Syrie. Majed a grandi. Les années sont passées, mais il s'est constitué une dure carapace. Il est orphelin de père et de mère, protégé d'un général, ancien ami de son père et toujours accompagné d'Abou Saïd, le sous-officier plein de tendresse qui a toujours veillé sur lui. Joyce Noufel, une veuve libanaise, est la nouvelle directrice de cette banque. Elle est arrivée à Damas malgré les relations tendues entre les deux pays. Un point commun la lie à Majed, elle ne se souvient pas de son père, mort pendant la guerre. Majed est étrangement attiré par cette femme. Il l'espionne via le Net. Naît entre eux une histoire d'amour pas toujours stable. L'été 2006, le Liban connaît une nouvelle tempête de guerre. Les choses tournent mal pour Joyce et sa famille restée au Liban. Traversé par quelques lenteurs, le film de Joud Saïd nous fait partager les souffrances et douleurs de la nouvelle bourgeoisie en Syrie. Son personnage, Majed, campé par le jeune Kaïs Cheikh Naïb est une personne très profonde mais froide. C'est un jeune qui a gardé intacts ses stigmates intérieurs. L'amour va bousculer sa vie et ses certitudes, lui qui est obsédé par la mort. L'amour comme symbole de renouveau, de vie, d'espoir et de paix frappe à sa porte. Alors qu'il décide de fuir à Dubaï, il refait surface. Comme dans tous les pays qui n'ont pas fini de régler leurs comptes du passé, l'amour apparaît comme un obstacle. Il se dessine plutôt comme un «je t'aime, moi non plus». «Le politique fait partie de nos vies au quotidien. Quand tu abordes l'histoire dans deux espaces différents, le politique ressurgit. 60% de notre société sont composés de jeunes. Mon film est d'abord, une histoire d'amour», fera remarquer le réalisateur Joud Saïd. Plans des séquences serrés sur les visages, ambiance tamisée, grisaille et noirceur des sentiments. Le tout forme des êtres sombres, hantés par le fantôme de la guerre. Cette atmosphère lugubre est bien rendue dans Encore une fois. Un titre qui évoque l'ultime tentative de délivrance. Celle qui mènera l'antagoniste du film, de l'obscurité vers la lumière. Evoquant son personnage, le comédien principal du film dira, lui aussi, lors du débat qui a suivi la projection, mardi dernier à la salle de cinéma Le Maghreb, que le réalisateur est un jeune, dynamique, qui porte un regard jeune et neuf sur sa société. «Nous avons besoin de ce genre de cinéastes qui offrent un regard nouveau sur notre société et parlent des préoccupations de la jeune génération.» Joud Saïd fera remarquer, à juste titre quant aux relations libano-syriennes actuelles: «Je leur souhaite un avenir meilleur. L'avenir commence quand on connaît bien son passé. On veut que je rapporte des solutions aux relations syro-libanaises. Mon rôle n'est pas de résoudre les problèmes.»