Oran De notre envoyé spécial Jeudi 16 décembre Il pleut à Alger et il neige sur les hauteurs. L'avion d'Air Algérie en partance pour Oran est retardé. Aucune explication. La compagnie publique continue de mépriser ses clients. Au lieu de 11h15, l'ATR décolle vers 15h. La reconnaissance des bagages se fait sous la pluie. Et comme le personnel de l'aéroport d'Alger a un grand «respect» pour les passagers, valises et cabas sont complètement mouillés. A l'arrivée à Oran, les hôtesses d'accueil de GL Events – une compagnie de services française, chargée par le commissariat du Festival international du film d'Oran (Fifao) de s'occuper de tous les aspects pratiques de la manifestation – préparent les badges pour les journalistes. A l'hôtel Sheraton, les journalistes de la presse locale attendent les badges et le programme. La cérémonie d'ouverture se déroule à la salle El Maghreb, entièrement rénovée. A charge pour les autorités locales de maintenir la salle ouverte, comme Essaâda ou El Feth, pour la projection de films. Chafia Boudraâ se met à genoux pour saluer le public alors que la comédienne koweitienne Hayat El Fahd s'est excusée de ne pouvoir faire le déplacement à Oran. Les deux filles du regretté Larbi Zekkal reçoivent l'hommage rendu à leur père. Le wali d'Oran, Abdelmalek Boudiaf, s'illustre par son absence. Ce responsable «local» aime-t-il la culture ? Nous n'avons pas de réponse. Vendredi 17 décembre Le jeune Tunisien Amine Chihoub fuit le débat engagé à la Cinémathèque d'Oran, une salle bien tenue, sur son court métrage Obsession et sur les autres films projetés à la faveur de la compétition officielle. La Palestinienne Areen Omari impressionne avec Awal Dars (Première leçon). Le film raconte l'histoire de Selma qui quitte El Qods pour Paris. Là, elle s'interroge : «D'où viens-je ?» La diaspora palestinienne se pose probablement la même question. La jeune cinéaste explique toute la difficulté de prendre des images dans les rues d'El Qods, loin des regards de l'armée israélienne. Le soir, le long métrage marocain «Les Oubliés de l'histoire», de Hassan Bendjelloun, suscite une petite polémique sur des scènes osées. Mais comment évoquer la traite des blanches et la prostitution sans montrer des scènes chaudes ? Cela suffit à des commentateurs «inspirés» pour détecter des «scènes pornographiques» dans un film d'un rare courage. Une «pornographie» fruit d'une imagination fertile. «C'est une fiction documentaire», explique le cinéaste qui, à la fin, sera primé pour le meilleur scénario du Fifao. Ambigu mais intelligent, Qurantina, le long métrage de l'Irakien Oday Rasheed provoque moins de commentaires. Le jeune réalisateur nous apprend plus tard qu'un mouvement naissant du 7e art irakien se prépare à étonner la sphère artistique arabe. Samedi 18 décembre La presse locale commence sa «guerre» contre le festival. Un acharnement incompréhensible alors qu'Oran gagne toujours en visibilité à travers pareille festivité. «Les organisateurs ont marginalisé la presse locale», nous dit un journaliste. Aucun parmi les journaux locaux n'a réservé d'espace à cette manifestation culturelle d'importance internationale. La radio locale, engluée dans le discours moralisateur, a également ignoré, d'une certaine manière, le Fifao. Des écrits de presse inventent «une intoxication alimentaire» au festival. Cela devient une blague. La capricieuse actrice syrienne Suzanne Nedjemeddine commence à alimenter la chronique du festival. Membre du jury longs métrages, elle exige de voir les films en DVD dans sa chambre du luxueux hôtel Royal. Une drôle d'attitude. Elle prétexte le froid qui règne dans la salle El Maghreb. Le froid est une vérité, mais le «justificatif» est ridicule. Suzanne Nedjemeddine pousse le mépris jusqu'à quitter le festival avant la proclamation des résultats de la compétition officielle. Le règne Hamraoui Habib Chawki (HHC) a laissé des traces noires. HHC, aidé par cette curieuse «boîte» de Maghreb films, a réduit le Fifao à un cérémonial people avec limousines blanches, roses rouges et baisers à tout va… Difficile de s'en sortir et de reprendre la dimension réelle du festival. Dimanche 19 novembre Débat sur l'état de la critique du cinéma dans le monde arabe. Le Tunisien Mahrez Karoui, un ancien du mouvement des ciné-clubs tunisiens et rédacteur à Africine.org, a remarqué que des questions sont posées partout sur l'utilité de la critique à l'ère d'internet, des blogs et de facebook. «Le film n'a plus besoin de critique pour se faire connaître», relève-t-il. Le Libyen Salim Ramdane abonde dans le même sens, soulignant que le film réussit sans critique. «La critique de cinéma est marginalisée dans les journaux», relève le syrien Ali Alaqabani. Le soir carte blanche est offerte au festival d'Abou Dhabi pour projeter des courts métrages nouveaux. «La mutation numérique a permis à plusieurs jeunes cinéastes d'émerger et de s'exprimer», explique le cinéaste tunisien Ibrahim Letaïf, président du jury courts métrages. Il est appuyé dans son travail par l'Algérien Allal Yahiaoui, l'un des plus grands directeurs photo dans le monde arabe. Un homme modeste qui doit être reconnu à sa juste valeur. Une grande valeur. L'équipe du festival lui souhaite un joyeux anniversaire pour ses 67 ans. Lundi 20 décembre Le cinéaste irakien Oday Rasheed retient avec peine ses larmes après la projection de Chetti Ya denni (Que vienne la pluie) du Libanais Bahij Hojeij qui revient sur le phénomène des disparus de la guerre civile dans ce pays. Le romancier Rachid Boudjedra, président du jury longs métrages, est toujours hésitant. Il n'est pas très convaincu par le film émirati, Thaoub ecchams (les habits du soleil), une légende sur l'amour et le regard hautain de la société sur les êtres faibles. Le réalisateur Bahreini Amar Al Kouhadji remarque qu'une nouvelle génération de cinéastes prépare le terrain au nouveau cinéma dans les pays du Golfe. Malgré leurs richesses, les Etats du Golfe n'accordent pas beaucoup de soutiens financiers au septième art. Le rôle de la musique dans le cinéma fait l'objet d'une conférence avec la présence, entre autres, de deux noms connus dans le domaine, le Syrien Radwan Nasri et le Tunisien Rabie El Zammouri. «Avec le budget de n'importe quel film européen consacré à la musique, on peut faire dix films dans le monde arabe», remarque Radwan Nasri. Mardi 21 décembre Mustapha Orif, commissaire du Fifao, et Nabila Rezaïg, responsable de la section longs métrages, sont honorés par Samir Abou Dhikra, président de l'Union des producteurs de télévision arabes. Abou Dhikra a remarqué que le festival d'Oran est le seul à s'intéresser exclusivement au cinéma arabe. L'actrice libyenne Khadouja Sabri invite les critiques à s'intéresser plus au cinéma maghrébin. Le dernier passager, le court métrage du jeune Algérien Mounès Khammar, est apprécié par la plupart des présents. Autant que Garagouz de l'autre Algérien Abdelnour Zahzah ou Rouge pâle de l'Egyptien Mohamed Hammad. Seul Garagouz sera primé avec l'Ahaggar d'or. Un prix mérité tant la démarche poétique et humaine de Zahzah dans ce film est saisissante. Mercredi 22 décembre L'étoile montante du nouveau cinéma égyptien Khaled Abol Naga est le VIP qui attire tous les photographes et les reporters en quête de «scoop». Le public afflue vers salle El Maghreb. Tout le monde sait que la star est à Oran et que l'excellent film Microphone fait déjà sensation dans le monde arabe, même s'il n'est pas encore sorti dans les salles. «Il y a un nouveau langage dans le cinéma en Egypte. Le cinéma indépendant veut avoir sa place», explique la critique égyptienne Safaa Al Leithi. Le film de l'Algérien Mohamed Soudani, Taxiphone, déçoit les présents. C'est tout juste une carte postale parfumée à l'eau de rose sur le Sud algérien. Une tentative faible d'évoquer le dialogue Nord-Sud et le rapport Noir-Blanc. Dans le brouhaha d'une collation, organisée dans le hall de la salle El Maghreb, il essaie, avec difficulté, de donner un aperçu sur sa démarche artistique. Les scènes chaudes, bien inutiles dans le film, vident la salle. Taxiphone n'est pas destiné aux Algériens ni au monde arabe, c'est évident. Dommage pour Mohamed Soudani qui a un talent indiscutable pour faire du cinéma. Jeudi 23 décembre Un vent fort souffle sur Oran. Les rues sont bondées, un jour ouvrable. C'est, paraît-il, une caractéristique de la ville. Les jeunes offrent à la vente, sous les arcades de la rue Ben M'hidi, un DVD, fatalement piraté, du dernier film de Messaoud Laïb, Hasni, la dernière chanson, produit dans le cadre d'Alger, capitale de la culture arabe. Un film qui n'a pas encore fait la tournée dans les salles. Le DVD est un succès, pas forcément le film. Il est reste que la ressemblance entre le jeune comédien Farid Rahal et Hasni est saisissante. A la Cinémathèque d'Oran, une salle bien tenue, le public du Fifao découvre le documentaire Gaza strophe de Samir Abdallah et de Kheiridine Mabrouk. Les deux réalisateurs sont entrés à Ghaza au lendemain de l'arrêt de l'attaque israélienne en janvier 2009. Et ce soir, c'est la cérémonie de clôture du Fifao. La soirée est simple. Les deux extraits d'un petit reportage sur le déroulement de la manifestation sont faibles. Palmiers blessés du Tunisien Abdelatif Benamar est sacré meilleur film avec l'Ahaggar d'or. «Sincèrement, j'aurais voulu donner le prix à Qurantina, mais le jury a eu le dernier mot», nous confie Rachid Boudjedra. Il défend son choix pour les prix d'interprétation masculine et féminine pour Essaha, le film musical de Dahmane Ouzid. Tout le monde s'attendait à ce que l'Egyptien Khaled Abol Naga ou le jeune Irakien Yassir Taleeb de Ibnou Babel, le long métrage de Mohamed Al Daradji, soit primé. Vendredi 24 décembre Tout le monde commente le résultat prononcé la veille et les déclarations de Khalida Toumi, ministre de la Culture, lors d'une rencontre avec la presse, à la salle El Maghreb. «Croyez-vous que je peux dire quelque chose alors que Rachid Boudjedra était président du jury ? », s'est-elle interrogée. Elle annonce que le prochain Fifao aura lieu en juillet 2011 et ne sera donc plus coincé entres les festivals de Marrakech, du Caire et de Dubai. Il aura lieu au Centre des conventions d'Oran, situé à la sortie Est de la capitale de l'Ouest. Enfin, ce Centre de conventions va servir à «quelque chose» après le faste «khelilien» du GNL16 (rencontre sur le gaz naturel liquéfié) en avril 2010. Reste un problème : est-il judicieux d'éloigner le Festival d'Oran de la population, du centre-ville, de la rue Larbi Ben Mhidi, El Maghreb… ?