Le 5 octobre 1988 avait marqué la fin d'une époque, celle du parti unique. Les événements avaient provoqué ou précipité, à l'époque, des changements ayant donné naissance au pluralisme politique, à la presse libre et à l'économie de marché. L'ampleur du mouvement et la brutalité avec laquelle il a été traité ont fait tomber des têtes. Mais l'ouverture qu'on voit aujourd'hui, avec un recul de 22 ans, n'a pas pour autant consacré l'alternance au pouvoir. Au contraire, ce qu'on appelle les acquis d'Octobre ont entamé un mouvement régressif, une sorte de mouvement à contresens des aspirations citoyennes pour arriver, en fin 2010, à une impasse politique doublée d'une panne économique, mais cette fois-ci avec les caisses pleines. Politiquement, si ce n'est la façade démocratique du système, on est presque dans les mêmes interdits : on tolère à peine l'existence de quelques îlots d'opposition, de presse libre. Une véritable chape de plomb s'est abattue sur le pays ces dernières années. Sur le plan socioéconomique, on est pratiquement dans la même configuration d'il y a 22 ans. Le chômage, la faim et la misère touchent de larges pans de la société. Seulement, le pouvoir n'a pas beaucoup d'arguments à faire valoir pour justifier une telle situation. Aucun gouvernement depuis l'indépendance n'a bénéficié de tant d'atouts pour mettre le pays sur la voie du développement. Les recettes pétrolières offraient à l'Exécutif l'équivalent de quatre fois la valeur actuelle du plan Marshall qui a reconstruit l'Europe de l'Ouest après la Deuxième Guerre mondiale. Le personnel dirigeant actuel n'a pu donc produire que l'échec. Une situation explosive presque similaire à celle d'octobre 1988. Ce qui s'est passé ces derniers jours en Algérie n'est pas un «chahut de gamins». C'est l'expression d'un malaise généralisé, résultat d'une véritable impasse sur le double plan économique et politique, contrairement à l'embellie qu'a eu à annoncer en grande pompe à l'APN, le Premier ministre lors de la présentation de la Déclaration de politique générale, il y a plus d'un mois. Pareille situation, dans des pays à forte tradition démocratique, aurait assurément fait tomber des gouvernements, provoquer de profonds changements politiques… Qu'en sera-t-il chez nous ? Dans un système aussi fermé et réfractaire à une alternative qui viendrait de l'extérieur, c'est-à-dire de l'opposition, il est difficile de parier sur une telle issue. Nous avons vu déjà comment le gouvernement, par le biais de son ministre de l'Intérieur, a tenté d'abord de banaliser un mouvement contestataire aussi large et aussi violent en le réduisant à une simple expression de colère à cause de la flambée des produits de large consommation. Oter le sens politique à une pareille contestation, c'est une manière pour le pouvoir de transmettre un message l'exonérant de la responsabilité dans la situation de crise qu'il a lui-même provoquée. Désigner des ennemis internes et externes, qui ont provoqué les émeutes menées, selon lui, par «des jeunes, souvent des mineurs», est aussi une manière détournée de faire admettre à l'opinion publique que la contestation ne remet pas en cause l'équipe dirigeante. Au contraire, soutenait avant-hier le ministre de l'Intérieur, Dahou Ould Kablia : «Les adultes, les pères de famille, eux, continuent à faire confiance à l'Etat», donc au personnel en place. Autrement dit, il n'y a aucune volonté de tirer les leçons de la situation actuelle, ni de changer de méthode de gouvernance. Et si alternative il y avait, le pouvoir n'accepterait pas celle qui ne viendrait pas de lui. Il s'est attelé d'ailleurs durant ces dernières années à inhiber tous les ressorts de résistance de la société et à empêcher la construction d'une véritable alternative démocratique à travers la fermeture des champs politique et médiatique. Le pouvoir a démontré également qu'il était prêt à tolérer une violence désordonnée plutôt qu'un important mouvement pacifique avec des mots d'ordre politiques. Ce sera encore une fois l'éternelle alternance clanique.