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Si Mouloud Hamrouche avait disposé de la manne financière actuelle ?
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Publié dans El Watan le 08 - 02 - 2011

Par les temps qui courent et ils courent vite, je ne dois pas être le seul à avoir lu avec beaucoup d'intérêt, ces derniers jours, dans les colonnes d'El Watan, les extraits de l'intervention de l'ancien Premier ministre Mouloud Hamrouche à Paris, devant l'Académie diplomatique internationale.
En effet, la crédibilité de cet homme est telle que ses sorties sont guettées par tous. Une crédibilité et une considération que l'opinion publique algérienne, plus prompte en général à dénigrer qu'à louer, accorde à peu de dignitaires algériens. Il faut dire que le courant passait très bien alors entre cet ancien chef de gouvernement et les Algériens qui, avec lui, découvraient l'équipe qui l'entourait, un vrai programme national et une vraie volonté de changer et de faire évoluer la situation en faveur de la population et du développement. Un chef de gouvernement aux accents de sincérité qui ne trompaient pas et qui se mettait réellement et humblement à l'écoute du peuple, avec un véritable sens du respect de l'autre, un réel fort et sincère engagement à construire un Etat de droit, la démocratie et une paix sociale durable et à associer toutes les forces nationales à cette construction. Respect des cadres avec lesquels il avait su travailler et communiquer et respect des citoyens avec lesquels il avait commencé à établir des rapports de confiance d'une rare qualité, autant de valeurs qui ne pouvaient que susciter l'adhésion.
Depuis l'indépendance du pays à ce jour, ce n'est du reste que sous son gouvernement que l'Algérie avait pu faire quelques progrès sur la voie démocratique, qu'on ne lui a malheureusement pas permis de poursuivre et que d'aucuns, bien tapis dans les appareils, n'attendaient que l'occasion pour les détruire.
Et dire qu'à cette époque les caisses de l'Etat étaient vides, effroyablement vides, à peine 8 milliards de dollars de recettes annuelles (le prix du baril de pétrole était au plus bas) quand les services de la dette s'élevaient à 3 milliards, la facture alimentaire à 3 autres milliards et le coût de fonctionnement des entreprises du secteur public à 3 milliards encore, soit un besoin vital pour le pays de 9 milliards au total. Il manquait donc au pays 1 milliard de dollars pour survivre, mais, n'empêche, il tenait quand même debout. Nous étions financièrement étranglés, mais nous n'avions pas autant d'émeutes. Les cadres, les travailleurs, les jeunes n'étaient pas aussi déprimés et aussi désespérés qu'aujourd'hui. Nos jeunes ne risquaient pas autant leur vie pour fuir le pays. Pourquoi ? Parce qu'on y croyait tout simplement ! Parce que le discours officiel était crédible. Parce que ce discours était cohérent et porteur d'un projet de société mobilisateur. Parce qu'il répondait aux attentes des citoyens, des citoyens qui étaient considérés et écoutés comme tels. Tout n'était pas parfait, non. Tout n'était pas réglé, non. Mais on y croyait. On avait de l'espoir. Nos horizons n'étaient pas bouchés, les lendemains n'étaient pas aussi incertains. Il n'y avait pas autant d'inégalités ni autant de frustrations qu'aujourd'hui. Imaginons un seul instant ce qu'une gouvernance pareille aurait pu réussir dans le pays si elle avait disposé de la manne financière de maintenant ! Si on l'avait seulement laissée en place !
Indéniablement, il y a aussi dans l'équipe gouvernementale actuelle et au sein d'autres institutions de l'Etat algérien des hommes intègres et compétents, des hommes et des femmes soucieux eux aussi de l'intérêt général, désireux, eux aussi, de réussir et de nous faire réussir. Mais où est le projet de société ? Où est la stratégie de développement mise en place ? Où est le programme global, clair, cohérent qui convainc et mobilise ? Où sont, là-dedans, les citoyens, les travailleurs, les cadres ? Qui les écoute ? Les Algériens, sont-ils vraiment considérés comme citoyens ou comme de simples habitants en détresse d'un territoire grouillant et bruyant, où la principale activité consiste à acheter et à vendre, à construire tout le temps et partout des routes, tout le temps et partout des maisons, tout le temps et partout des bâtiments, et moches de surcroît ? Où sont les espaces publics ? Où sont les espaces de vie ? Où est la vie ? Considère-t-on les Algériens comme des citoyens avec tous les attributs dus à ce statut, ou comme de simples habitants surveillés, à qui on procure de la semoule et de l'huile, comme le ferait une quelconque ONG pour un quelconque groupe de réfugiés ?
Il fallait, certes, des maisons et il en faut encore. Il fallait des immeubles, c'est bien de les avoir construits et il en faut encore. Mais des amas de maisons serrées les unes contre les autres, avec toutes des petits commerces en dessous, des ensembles d'immeubles collés les uns aux autres, tous aussi hauts et laids les uns que les autres font-ils une cité ? Avec quelle qualité de vie ? Quel cadre de vie ?
Des urgences, il y en avait et il y en a encore dans le pays. Des pressions de toutes sortes, économiques et sociales en particulier, le pays, il est vrai, n'en a pas manquées ces dernières années et n'en manque pas aujourd'hui. Mais, toutes ces actions, aussi nombreuses et coûteuses soient-elles, menées de cette façon, sur tous les fronts et dans tous les sens, peuvent-elle faire office de vrai programme de gouvernement ? Correspondent-elles à une démarche bien réfléchie, bien concertée et bien planifiée ? A une vision d'avenir, juste, claire et cohérente ? Laquelle ? Elle n'est pas visible en tout cas, et rien ne semble indiquer qu'il y a là un programme digne de ce nom. Un programme digne d'un pays qui a de l'ambition pour lui et pour sa population.
Certes, la décennie noire a causé au pays des dommages considérables qui ont traumatisé sa population, destructuré la société et son économie, affaibli les capacités et les marges de manœuvre de l'Etat. Certes, cette dure et dramatique réalité a longtemps imposé ses priorités aux autorités dont la première, et pas des moindres, fut de sauver le pays du péril, ce qui a été accompli, non sans de lourds sacrifices. De sécuriser le territoire national, ce qui n'était pas facile du tout à réaliser. De remettre en marche un train que le terrorisme a failli faire dérailler pour toujours, but qui a été plutôt atteint.
ASSOCIER LES FORCES DU PAYS
L'argent est bien rentré entre-temps, mais reconnaissons également à la décharge des responsables en place qu'il ne suffit pas de bander une blessure avec une liasse de billets pour la guérir. Reconnaissons que le mal causé a été d'une telle profondeur que ses séquelles n'ont pu que peser, pèsent et pèseront encore longtemps et lourdement sur tout ce qui a été, est ou sera entrepris.
Que ce mal a été tel que ses effets ne pouvaient que réduire et retarder les résultats de tout effort, de tout investissement, de toute action de redressement et d'assainissement. Qu'en partie donc, plus ou moins grande, des problèmes d'aujourd'hui ont bien leur origine dans la tragique tempête que le pays a traversée durant plus d'une décennie. Ne pas le reconnaître, c'est être injuste envers ceux qui ont exercé des responsabilités dans ce contexte bien difficile. Ne pas le comptabiliser, c'est aussi fausser toute approche qui se voudrait productive.
Cela dit, la décennie noire n'explique et ne justifie pas tout, car, comment comprendre, par exemple, pourquoi, et vu précisément l'ampleur et la complexité de la charge, l'acuité des problèmes, l'immensité des besoins, les uns plus pressants que les autres, on ne s'y est pas pris autrement pour mieux réussir. Pourquoi on n'a pas cherché à rassembler les énergies nationales et les associer autour de ces tâches ?
Les pouvoirs publics, durant ces dernières années, ont commis l'erreur de ne pas avoir associé toutes les forces du pays à l'action et à la réflexion. Ils ont commis l'erreur d'avoir fermé le jeu. Fermé le dialogue national et empêché tout débat contradictoire.
La situation exigeait le rassemblement national, le partage des responsabilités. Pourquoi ont-ils privé le pays de l'apport précieux d'hommes et de femmes compétents et expérimentés sous le seul prétexte qu'ils n'appartenaient pas à leurs réseaux ou à leur clan ? Pourquoi ont-ils tenté d'empêcher l'émergence et le développement de nouveaux partenaires sociaux représentatifs et indépendants, pourtant indispensables acteurs dans toute construction viable et durable ?
LES ANNEES NOIRES
Comment, à notre époque, ont-ils pu ignorer que réprimer les contre-pouvoirs et les empêcher d'exister et de s'exprimer notamment à la radio et à la télévision d'Etat, c'était priver le pays d'une partie de ses forces ? C'était condamner l'Etat lui-même à être boiteux.
Comment le pouvoir a-t-il pu croire encore, à notre époque, qu'un béni oui-oui qui se goinfre, sans rien donner en échange, était plus rentable, plus profitable au pays qu'un adversaire politique de qualité ? Et comment ose-t-on se plaindre aujourd'hui de ne pas trouver de contradicteur de qualité alors qu'on s'est employé et appliqué, avec tous les moyens possibles et imaginables, à empêcher son apparition et son existence ? Tous nos pouvoirs successifs (certains diront c'est la même nature de pouvoir depuis 1962,) ont agi ainsi, depuis l'indépendance du pays, au point que cette tendance maladive à éliminer autour de soi tout contradicteur a fini par gagner les partis d'opposition, eux-mêmes, contaminant toute la société que l'on voit dans tous les forums sur la Toile faire preuve d'un sectarisme, d'un subjectivisme et d'une violence verbale inouïs, signe d'un grave déficit national de culture politique dont nous souffrons tous et qui hypothèque dangereusement nos chances de nous en sortir et d'avancer.
Non, les années noires n'expliquent et ne justifient pas tout. La pertinence de certains choix opérés ces dernières années a souvent été discutable, autant que la qualité d'une gouvernance régulièrement critiquée par les médias privés et les citoyens, et mise en cause dans de nombreux rapports et enquêtes nationales et internationales, au même titre, d'ailleurs, que l'absence de transparence et l'absence de dialogue social, auxquelles le pouvoir en place a préféré le «confort» d'arrangements à huis clos à la portée forcément très limitée, avec un syndicat maison digne des années de plomb. Le non-respect de l'indépendance de la justice, le rétrécissement organisé du champ des libertés individuelles et collectives et le retour dans les médias lourds à des pratiques éculées du temps du parti unique sont également pour beaucoup dans les problèmes actuels du pays. On n'oubliera pas non plus la mise à la retraite, inexplicable, d'hommes compétents et très expérimentés qui étaient encore capables de servir le pays mieux et plus que jamais, pendant que d'autres, qui n'avaient jamais brillé dans aucun domaine et apparaissaient plutôt usés par les ans, se voyaient rappelés ou maintenus à des postes importants, quelquefois à des niveaux bien élevés. Copinage, clanisme, clientélisme... autant de cancers qui ont causé, depuis l'indépendance, le plus grand tort à l'Algérie.
Dans un tel contexte, et nous l'avons vu récemment avec les mesures prises pour lutter contre l'économie informelle et assainir le commerce, mêmes les actions les plus justes et à terme les plus bénéfiques au pays perdent de leur sens et ne trouvent aucun appui dans la société.
L'Algérie, disent les Algériens, est un pays qui dévore et jette ses meilleurs hommes et femmes, les mieux formés, les plus droits et les plus utiles et dévoués à leur peuple. Un pays qui préfère et choie les larbins, les «faisant fonction» et les usurpateurs de fonctions, dont la force de nuisance est d'autant plus grande que le pays ne capitalise pas ses expériences. Une génération entière de dirigeants, de cadres, de salariés, de syndicalistes, d'associatifs, de politiques disparaît en effet à chaque fois, sans avoir le temps de transmettre à la suivante son expérience, sa mémoire, ses traditions. Pourquoi ? Parce qu'elle est détruite avant d'avoir le temps de le faire. Des fournées entières de cadres sont ainsi régulièrement décimées.
Des hommes et des femmes de qualité sont marginalisés, meurent de peine avant l'âge de maladies du cœur ou du sang, quand ils ne sont pas emprisonnés, poussés à l'exil ou franchement tués. Une première génération a ainsi été effacée dès 1963. Une deuxième en 1965. Une troisième en 1969. Une 4e en 1981. Une cinquième par le terrorisme à partir de 1994. Les premières fois, on a rempli les prisons et les bateaux. La dernière fois, c'est un autre faucheur qui s'en est occupé, en remplissant les cimetières et les avions. Périodiquement, on aura donc fait le vide. Cela fait le bonheur de certains qui en profitent alors pour occuper les postes laissés vacants, mais cela fait, en même temps, le malheur de tout un pays.
Aux éléments aguerris et vertébrés, le système a toujours préféré les soumis, les dociles, les malléables à qui il ajoute, par vagues entières, des débutants d'autant plus «formatables» qu'ils ont faim et se montrent zélés et empressés. Un tel gaspillage de ressources humaines est sans pareil au monde. Alors, n'accusons pas le peuple de ne pas avoir de culture politique, de ne pas être organisé.
Cessons d'accuser les partis politiques, les syndicats et les associations d'être faibles. Acceptons d'entendre que les peuples tunisien et égyptien sont «éduqués et civilisés» sans qu'on le pense des Algériens.
Les faucheurs sont passés par-là ! Les faucheurs ont semé d'autres graines. Cela dit, ne sous-estimons pas trop la société algérienne. Elle aussi, peut-être, nous réservera-t-elle ses surprises. Et pourquoi pas le pouvoir lui-même ? Le pouvoir, qui vient d'annoncer quelques petites concessions et qui peut-être après avoir passé une nouvelle nuit à suivre l'actualité sur El Jazeera se réveillerait demain mieux inspiré, ne se plairait pas dans la glace et déciderait de lui même de secouer ce tapis bien poussiéreux pour ouvrir dessus un jeu tout neuf, en acceptant cette fois au moins que les cartes soient équitablement redistribuées. Ne sommes-nous pas «fi bilad el mouâdjizattes ?»

Youcef Tahar . Journaliste


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