Le consensus sur la révision de la Constitution, dont se gargarisent le pouvoir et sa périphérie immédiate, semble se fissurer chaque jour un peu plus. Et, ironie de l'histoire, les coups tordus contre le projet cher au tandem Bouteflika-Belkhadem viennent des entrailles du régime, alors qu'on les attendait du côté de l'opposition dite démocratique. Mouloud Hamrouche puis Boualem Benhamouda, deux figures emblématiques du système FLN, ont sonné l'alerte, presque simultanément, contre les implications néfastes qui pourraient découler d'une manipulation du texte fondamental. L'ex-chef de gouvernement réformateur préfère accorder le bénéfice du doute au parti Belkhadem en suggérant qu'il faut attendre le contenu de cette révision pour juger de ses projections politiques. Il trouve même l'idée intéressante « si elle apporte quelque chose qui puisse nous faire sortir de l'impasse (…) ». Mais Si Mouloud, si rompu aux arcanes du sérail, met un sérieux bémol à son enthousiasme en rejetant catégoriquement cette option « si elle vise à perpétuer le règne d'une personne, d'un clan ». M. Hamrouche parle bien sûr d'un troisième et éventuellement d'un quatrième mandat à Bouteflika que déclinent, quasi exclusivement, les premières fuites de cette mouture qu'on dit fin prête et qui sont soigneusement relayées par le FLN, la maison mère et les entités gravitant autour du régime. Cet amendement-là de la Constitution ne plaît manifestement pas à Mouloud Hamrouche qui réclame rien moins qu'un « changement du système » parce que toute « la politique que mène le régime actuellement n'arrive pas à se concevoir en dehors de la sphère de l'échec ». Et cet échec, l'ex-candidat à la présidentielle l'impute également à son ex-parti, le FLN, qui se trouve être le socle du système et qui, fatalement, essuierait une « faillite ». Il est donc clair que Mouloud Hamrouche s'inscrit en faux par rapport au projet présidentiel, dont l'arrière-pensée politique n'est certainement pas de consentir un surcroît de démocratie et de liberté ni de céder à l'impératif républicain qui suppose une réelle alternance au pouvoir. Le constat qu'il fait de la gestion du pays sous Bouteflika n'autorise aucune supputation quant à son éventuel ralliement au consensus ambiant. « Le verrouillage qu'a opéré le pouvoir a freiné les réformes, laminé la classe politique dont les partis sont réduits à des appareils sans rôle majeur dans la construction du pays. » De fait, M. Hamrouche se démarque sans ambages de la démarche de Bouteflika dont il semble deviner les intentions. L'appréciation est aussi celle de Boualem Benhamouda, l'ancien secrétaire général du FLN, qui, dans une intervention à l'université d'été de l'UNEA, à Boumerdès, a balayé d'un revers de la main la révision de la Constitution qu'il estime inopportune. « Je considère que cette révision n'est pas une urgence et ce n'est pas une revendication des militants et des travailleurs, qui ont d'autres préoccupations. » Le propos de ce vieux routier du tout aussi vieux front donne un avant-goût de la cuisine constitutionnelle en gestation dont il soupçonne les effluves en provenance du palais d'El Mouradia. M. Benhamouda s'en lave les mains et celles de ses camarades de la base de son parti de ce que la révision de la loi fondamentale n'émane pas de la base du FLN, mais d'ailleurs… Hamrouche-Benhamouda : même combat Et pour donner son onction à cette révision, elle doit être à ses yeux « bénéfique pour l'ensemble du pays et pas seulement pour un seul homme (…) ». Voilà qui met le doigt sur la plaie, en ce sens que Benhamouda rejoint tout à fait la position de Mouloud Hamrouche, qui craint le détournement de la révision au profit de la reconduction du statu quo. L'ex-patron du FLN, qui a soutenu énergiquement la candidature de Ali Benflis en 2004 contre Bouteflika, poussera son réquisitoire jusqu'à mettre en garde contre « l'autocratie » qui pourrait advenir d'une éventuelle ouverture du mandat présidentiel, tel qu'évoqué par des fuites organisées. « Je dis cela car le culte de la personnalité est contraire aux principes du FLN », a-t-il averti. Or, le FLN n'a de principes que ceux que lui dicte son président Abdelaziz Bouteflika et mis en œuvre par son secrétaire général Abdelaziz Belkhadem. La preuve ? Les deux Chambres du Parlement dominées par ce parti ont déjà adopté des motions de soutien à cette révision avant même qu'elle n'en connaisse son contenu ! Aussi, alors qu'on prévoit l'adoption par voie référendaire de cette révision « avant la fin de l'année », les Algériens ne savent toujours pas sur quoi porteront concrètement les amendements. Cette absence de débat public sur une question d'intérêt national entame à l'évidence la crédibilité du projet et celle de ses concepteurs. Bien que les « tazkiate » (soutiens) pleuvent du côté des partis qui ne doivent leur existence qu'à leur légendaire zèle à rallier toutes les causes du pouvoir, il n'est pas dit que la partie est gagnée d'avance. Les tirs croisés de Hamrouche et de Benhamouda, tous deux issus du FLN, risquent de faire tache d'huile et d'amener « les révisionnistes » à revoir leur copie. L'opposition, elle, prolonge son sommeil en attendant peut-être de subir un fait accompli.