Chaleureusement accueilli par le public du Centre culturel français (CCF) d'Oran, le dernier monologue de Hamid Gouri, Oh, les femmes !, est une invite en famille. Une invitation à se rendre chez la famille du personnage, pas pour siroter un thé ensemble ni participer à une discussion autour des multiples fièvres qui agitent le monde, mais pour vous parler de ses frictions d'homme esseulé. L'homme, exclu de son travail pour une histoire de vache indienne non respectée, se retrouve également déchu de son statut de chef de famille parce que l'épouse et les enfants ont rompu depuis longtemps le contrat de fidélité qui les liait au paternel. Ecrite dans un style qui allie l'absurde au burlesque, le grave le plus sombre à la légèreté la plus fluide, la pièce, d'une heure environ, est un long et savoureux kaléidoscope de notre vécu, un vécu changeant, versatile, hâtif dans ses influences, puéril dans ses comparaisons. Une sorte de laboratoire de l'instantané ; un laboratoire où primerait le rire, rire de ce qui nous fait souffrir, rire de nos bêtises érigées en modèle de comportement, rire de nos vanités hissées au rang de dogmes sacrés. Pêle-mêle, le héros malheureux, interprété par Hamid Gouri, prend à témoin les spectateurs de la salle rouge du CCF, évoque dans un français croustillant et approximatif sa vie d'avant, parle avec hargne de ses déboires familiaux, s'insurge contre sa propre personne, puis redevient subitement doux ou plus exactement amorphe, parce que sa rébellion contre les nouveaux ordres établis n'est qu'illusion sur illusion. Impuissance et inconstance se donnent la main pour exprimer en fin de compte toute la solitude de ce Don Quichotte des temps modernes, qui va en guerre contre les vents, tous les vents sans distinction ni retenue. Oh, les femmes ! insiste par la voie et le repère matériel sur des situations de ménages vécues, use par endroit de langage descriptif, à la fois clair et incisif, mais l'essentiel du spectacle est dans la parodie burlesque, l'humour annabi décapant qui transcende le concret, l'apparent, le figé. «Je» vs jeu… Le «je» de l'acteur devient «tu», ou mieux encore «vous» lorsque Hamid Gouri, emmitouflé dans sa gabardine à «l'inspecteur Columbo», s'adresse au public pour partager avec lui ses déboires, ses interrogations hallucinantes sur le pourquoi et le comment. Sans le vouloir peut-être, l'auteur-metteur en scène et comédien du Théâtre régional de Annaba ne se suffit pas de nous présenter des situations, ne se contente pas de nous communiquer ses impressions. Il décrit un moment historique avec sa perception à lui bien sûr, la perception de l'artiste. Il est dans le temps réel, mais aussi dans le temps immatériel de ce réel qui lui éclate au visage, lui colle à la peau, le poursuit, le dérange à n'en pas pouvoir et nous dérange aussi parce que nous subissons ces aléas que décrit le personnage sur scène. Ils sont en nous, nous leur ressemblons, en partie, pour beaucoup. A la sortie du spectacle, nous portions tous des gabardines à «l'inspecteur Columbo». C'est le message qu'on pourrait tirer de la pièce de Gouri. Un message qu'on pourrait à l'envi discuter au foyer et ailleurs.