L'analyse d'un tableau, surtout d'un autoportrait, peut en dire long sur le peintre. Cette composition figurative à dimension autobiographique a été réalisée en 1976. M'hamed Issiakhem était alors âgé de quarante-huit ans, soit neuf années précédant son décès (1985). C'est l'homme dans la force de l'âge, à la fois imposant, touchant et intouchable qu'il exhibe à travers ce portrait achevé. Debout, le buste en biais, sur un fond gris vert, il se tient au centre de la composition picturale figeant son image dans une posture qui capte toute l'attention. Le regard droit et fier qui laisse deviner une intelligence vive, il nous regarde et nous invite à le regarder à notre tour, à le fixer, à le scruter, à le découvrir, à l'admirer, afin de satisfaire son ego, de combler son sentiment narcissique et de porter un jugement sur lui. Le voilà donc qui se met à nu, offrant une partie de son corps, en l'occurrence son visage et son buste, au regard curieux, voire inquisiteur du spectateur qui, inévitablement, focalise son regard sur l'image du peintre vêtu d'un pull-over de couleur noire et qui affiche une mine à la fois figée, inquiète et sérieuse. Le visage du peintre est allongé et parsemé de traits gravés par le passage du temps. Ses joues sont creuses. Il fronce les sourcils. Ses cheveux sont noirs et abondants, signe de bonne santé et de jeunesse. Son nez est long et fin. Ses lèvres fines sont entourées d'une moustache noire et fournie. La position en biais met en perspective le côté droit du buste du peintre qui brandit sa main droite face au regard du spectateur, qui se délecte de ce portrait suscitant à la fois des questionnements, de l'admiration et de la sympathie à l'encontre du peintre et de sa main tendue, détachée du bras et du poignet. Dans cette composition, la main a un triple symbole. Primo, pour le peintre qui a été amputé d'un bras, cette main est le symbole de la survie. Car, c'est cet organe qui lui permet de toucher, de manipuler des objets et de s'affirmer en tant qu'être humain. Secundo, la main représentée à travers cette toile constitue son «outil» de travail. C'est l'instrument par lequel il accomplit son geste créateur et ce, en peignant, en dessinant, en traçant, en écrivant... C'est le moyen grâce auquel il existe en tant qu'artiste, créateur d'un univers pictural personnel et singulier. Tertio, cette main, de taille petite, peinte (en fait par apposition de sa propre paume sur la toile) au gré de l'inspiration du peintre peut être appréhendée comme un rempart contre les regards envieux ou hostiles. Ouverte, les doigts pointés vers le haut, la paume tournée face aux regards curieux et surpris, telle une khamssa, la main incrustée dans le tableau est utilisée pour sa fonction protectrice et porte-bonheur. A la lumière de cette approche, le peintre attribue à la main le rôle d'une amulette ou encore d'un talisman dont l'objectif est d'éloigner le mauvais œil. Le recours à cette croyance populaire, qui puise son essence dans la superstition, fait appel à deux remarques. D'une part, c'est le biais par lequel le peintre introduit une note d'humour et ainsi une complicité et une connivence avec le spectateur. D'autre part, par cette attitude, le peintre défie, nargue et provoque le regardeur pour qui il pose en adoptant une posture solennelle. Ainsi, l'utilisation de la main comme moyen de protection contre le regard extérieur est le biais par lequel le peintre met en scène l'aspect provocateur de son caractère. Parallèlement à la main qui vient élargir le sens de la composition picturale, le peintre enrichit sa création en intégrant au milieu de sa toile des écritures inscrites au pinceau et à la peinture. «A Zoulikha et Djaâffar Inal puisque cette gueule ne m'appartient plus», écrit-il aux amis à qui il dédie ce tableau. A travers cette œuvre, enrichie du symbole de la main et des écritures qui expriment de l'affection à l'égard d'un couple d'amis, Issiakhem émerge comme un homme généreux, qui a le sens de l'amitié, du don et de la reconnaissance. Cette toile, sur fond neutre, met en évidence un autoportrait d'un point de vue psychologique. Intemporelle, elle constitue et continuera à constituer un précieux témoignage de soi. Pour la postérité !
Autoportrait II. Format : 92,5 x 45,5 cm. Technique , peinture à l'huile sur draps (1976)