Les pétards ont encore marqué la naissance du Prophète, avec moins de vélocité, semble-t-il. Résultat des prises de la gendarmerie, des prix trop élevés ou d'un changement de mœurs ? Si l'inauguration nationale de «Tlemcen, capitale de la culture islamique», coïncidant avec le saint anniversaire, a pu rétablir à l'occasion les cérémonies d'antan de cette cité, notre confrère, M. Tchoubane, n'a pas caché sa peine de voir «la majestueuse manara de Cherchell» abandonnée cette année pour éviter les explosions qui la troublaient (El Watan, 13/02/11). Elle était pourtant l'une des rares à s'être maintenue et ce, depuis l'époque des Fatimides ! Mais qu'est-ce qui fait donc que nous soyons le seul pays du monde musulman à célébrer le Mawlid Ennabaoui avec un tel arsenal ? Un vénérable habitant de Belcourt nous avait mis sur la piste, en nous disant, il y a longtemps : «taghenen't maâ leggouer», traduisible par «concurrence avec les Européens» ou plutôt «bravade»… A l'origine, les pétards sont attachés à la tradition chrétienne et ce sont les colons qui l'ont introduite en Algérie. Cette pratique était liée à la célébration de Saint Jean-Baptiste, le 24 juin, proche de l'équinoxe d'été, avec les fameux feux de la Saint-Jean que certains ont fait remonter aux célébrations de Tammuz, dieu mésopotamien… Mais il est avéré qu'en Europe on faisait exploser des pétards en l'honneur de ce saint, comme le prouve une ordonnance de police de juin 1726 qui en interdisait l'usage à Paris (base numérique de la BNF). Le Bulletin municipal de la Ville d'Alger du 20 juillet 1923 (même source), formule la même interdiction en prévision de la fin d'année. C'est, qu'entre les deux, les explosifs festifs avaient quitté Saint-Jean pour Noël, passant de l'été à l'hiver, en gardant la croyance qu'ils éloignent les mauvais esprits. En décembre dernier, un trabendiste a été arrêté avec une tonne de pétards. Verdict : saisie, 100 jours de prison et 5000 euros d'amende, car cela se passait à Strasbourg ! Le même mois, la ville de Remédios à Cuba n'a pas célébré sa messe car la bataille traditionnelle de pétards entre ses deux grands quartiers a dégénéré. Dans toute l'Europe, notamment en Allemagne et Alsace, en Angleterre, en Amérique latine, à la Réunion, etc. les chrétiens maintiennent plus ou moins cette tradition, installée au XIXe siècle. Comme l'Algérie a été la seule colonisation de peuplement du monde arabe (et l'une des rares au monde), les Algériens voulaient affirmer leur identité. Pour honorer le Prophète face au bruit produit par les quartiers européens en l'honneur de Sidna Aïssa (Jésus), ils se seraient mis aussi aux pétards. Avec l'indépendance, la mondialisation et surtout le trabendo, vinrent les moyens, puis les excès. Cette pratique s'est enracinée dans les générations mais elle ne doit pas nous dédouaner d'une réflexion. Notamment, lorsque tant d'autres choses, réelles ou symboliques, partent en fumée.