Le journalisme dans les temps difficiles» est l'intitulé générique d'une rencontre organisée, hier, à l'institut Cervantès d'Oran qui a invité, pour un échange d'idées, des membres de la corporation en Algérie (dont le directeur de publication du quotidien El Watan, Omar Belhouchet, qui a répondu à l'invitation) mais aussi un ancien journaliste espagnol, Ramon Vilaro, qui a accompagné la transition démocratique dans son pays. Son nom reste associé au premier numéro d'El Pais, un quotidien né au milieu des années 1970, marquant le début d'une ère nouvelle pour la presse ibérique. Vilaro était alors correspondant à Bruxelles et la publication de son article en une, stipulant entre autres que si le gouvernement ne légalisait pas tous les partis politiques, la CEE (qui a précédé l'Union européenne) allait rompre le processus d'intégration de l'Espagne, a eu un écho considérable. Le journal, né au cœur de cette transition, a eu tout de suite une grande popularité. Ramon Vilaro devait intervenir sur «Le rôle de la presse dans la transition démocratique» et, pour développer son thème, il a eu recours à son expérience personnelle articulée autour des événements qui ont marqué cette période. «C'est d'abord une question générationnelle», explique-t-il, car à 18-20 ans, vers la fin des années 1960, sous le régime franquiste, il était alors impossible de casser le cadre dictatorial d'où l'idée de partir à l'étranger à la recherche de plus d'ouverture. L'onde de choc de mai 1968 à Paris a eu des échos un peu partout dans le monde, notamment à Bruxelles où il a étudié le journalisme. Le passage du franquisme vers le bouillonnement d'idées qui a caractérisé cette période en Europe a marqué sa vision du monde et c'est pour cela qu'il se retrouve correspondant de titres progressistes comme le journal Madrid, visé par le pouvoir et qui a fini par être interdit de parution. Ramon Vilaro démontre que la presse n'a pas attendu la chute de la dictature franquiste pour se permettre une certaine liberté de ton et ce sera notamment le cas avec l'hebdomadaire Cambio 16 (qui veut dire changement et le chiffre 16 est en rapport avec les membres fondateurs) né en 1973 avec, selon l'auteur, «un succès considérable car les gens avaient soif d'un nouveau journalisme». C'est dans ce contexte qu'est né ensuite El Pais «grâce, précise le conférencier, à un bloc financier derrière mais qui avait des connexions avec le nouveau courant progressiste». Le journaliste espagnol démontre aussi indirectement le poids de la communauté européenne et du Conseil de l'Europe dans le fléchissement du régime franquiste par rapport à certaines questions comme le cas évoqué des 6 membres de l'ETA condamnés à mort et qui n'ont pas été exécutés grâce à la pression exercée sur le régime. «C'est l'horloge biologique qui a sonné la fin de Franco», rappelle Ramon Vilaro pour mettre en avant l'idée qu'il n'y a pas eu de cassure radicale entre avant et après Franco et qu'il y avait un consensus pour une transition et non une rupture, et cela, pour l'avenir de l'Espagne. Les médias traditionnels (radio, télévision, presse écrite qui étaient sous la coupe du régime) ont fini eux aussi par épouser les nouvelles thèses démocratiques. «Il fallait arriver à un consensus par la négociation, sinon ç'aurait été la guerre civile», explique-t-il en prévenant que rien n'est jamais acquis pour de bon, citant l'épisode de la tentative de coup d'Etat du 23 février 1983. Pour le cas de l'Algérie, le débat a eu lieu autour de l'intervention de Brahim Hadj Slimane, qui a édité récemment un ouvrage sur la pratique journalistique durant la décennie noire. «Mon intervention n'est pas prévue pour produire un savoir, mais pour témoigner de ma propre expérience qui est liée à la situation du pays», a-t-il déclaré en préambule avant de constater le peu d'ouvrages consacrés à la pratique journalistique en Algérie. Son intervention a été pourtant centrée beaucoup plus sur des repères historiques. Selon lui, le paysage médiatique n'est pas monolithique, y compris au temps du parti unique, en faisant remarquer que les premiers journaux indépendants ont été l'œuvre de journalistes de la presse publique grâce aux réformes introduites au temps de l'ancien chef du gouvernement, Mouloud Hamrouche, juste après les événements d'Octobre 1988. Réagissant dans le débat, Omar Belhouchet a rappelé le combat des journalistes dans les années 1980 notamment la déclaration du 10 octobre 1988 revendiquant, avant les courants politiques, la levée de l'état d'urgence. Membre du Mouvement des journalistes algériens (MJA), une organisation qui n'a pas survécu aux bouleversements qui se sont opérés en Algérie après 1988, Mohamed Koursi a signalé la mainmise des groupes financiers sur certains titres, une situation qui peut être préjudiciable à l'avenir de la liberté de la presse. Pour les questions d'avenir, une table ronde était prévue dans l'après-midi avec des journalistes locaux.