Qu'on le veuille ou non, le retrait du président Bouteflika des affaires du pays pour cause de maladie, depuis samedi dernier, a plongé les institutions du pays dans une véritable inertie. La vie nationale dans ses différents segments s'est brutalement arrêtée, suspendue aux informations parcimonieuses et rigoureusement contrôlées en provenance de l'hôpital du Val-de-Grâce, où se trouve hospitalisé le président Bouteflika. Et ce n'est pas la réunion du Conseil de gouvernement, tenue mardi, qui arrivera à convaincre l'opinion algérienne et nos partenaires étrangers que le pays continue à fonctionner normalement. « L'Etat est mobilisé pour la bonne marche des affaires du pays sous l'autorité de Son Excellence, le président Abdelaziz Bouteflika », souligne le communiqué des services du chef du gouvernement, rendu public à l'issue de la réunion du Conseil de gouvernement. L'insistance du communiqué du gouvernement quant à l'autorité du président de la République, dont on tient à préciser qu'elle est exercée pleinement en dépit de la maladie de Bouteflika qui l'a éloigné physiquement des affaires, mais tout en continuant à assumer ses responsabilités à la tête de l'Etat, trahit un malaise mal dissimulé du chef du gouvernement, propulsé malgré lui au premières loges de l'Etat sans en avoir, pour ce faire, les prérogatives constitutionnelles. Depuis l'hospitalisation de Bouteflika, implicitement, c'est Ouyahia qui assume les fonctions d'intérim de chef de l'Etat, même si officiellement, lorsque l'on se fie aux communiqués officiels de la présidence de la République, le chef de l'Etat continue depuis Paris à gérer normalement les affaires de l'Etat et d'assurer la continuité de l'Etat au plan interne et externe. C'est le message à retenir des missives envoyées par Bouteflika à certains chefs d'Etat étrangers, à l'occasion de fêtes officielles, ou encore du document adressé à ses pairs présents au sommet de Barcelone. Des messages qui font, à chaque fois, l'ouverture des journaux télévisés de l'ENTV, comme pour bien souligner que le président de la République préside toujours même en étant loin du pays. Mais si Ouyahia a tenu à rassurer sur l'exercice pleine et entière de l'autorité de l'Etat par Bouteflika, il est placé, sans le vouloir, sous les feux de la rampe, en étant amené à remplir indirectement les fonctions de président de la République. D'ailleurs, n'est-ce pas le chef du gouvernement qui est destinataire des messages de prompt rétablissement, adressés par des personnalités étrangères au chef de l'Etat ? Cette position inconfortable dans laquelle se retrouve le chef du gouvernement, assis entre deux chaises, celle de l'Exécutif et l'autre plutôt formel de chef de cabinet de la Présidence, aurait pu être évitée, et le fonctionnement des institutions du pays ne se serait que mieux porté, si la nature du pouvoir en Algérie était autre. Autrement dit, si la Constitution n'avait pas concentré tous les pouvoirs entre les mains du président de la République. L'idée circule maintenant, à la veille de chaque projet de révision constitutionnelle, quant à la création d'un poste de vice-président qui viendrait épauler le président de la République dans l'exercice de ses fonctions et assurer la continuité de l'Etat, lorsque celui-ci est en déplacement à l'étranger ou dans d'autres circonstances d'indisponibilité du chef de l'Etat. Aujourd'hui, c'est Abdelaziz Belkhadem qui assume, en tant que représentant personnel du chef de l'Etat, l'aspect protocolaire de l'agenda du président de la République. Cette forme d'organisation de l'Etat adoptée par les grandes démocraties, comme c'est le cas du système américain, n'a jamais inspiré le président Bouteflika, qui ne croit pas à l'efficacité d'un pouvoir bicéphale. C'est, d'ailleurs, l'une des raisons majeures qui l'avaient poussé à refuser l'offre qui lui avait été faite en 1994 de présider aux destinées du pays. L'épreuve que vit le pays et qui pourrait se répéter à l'avenir, avec Bouteflika ou après lui, repose de nouveau la question lancinante de l'organisation ou de la réorganisation de l'Etat et de la structuration du pouvoir.