Vous journalistes, vous êtes bien contents qu'il soit malade ? » lance agressivement Ahmed, la trentaine, fonctionnaire dans une banque. A ses pieds, s'étalent les unes des journaux avec le portrait du Président, du haut de ses 68 ans. Pour rappel, Abdelaziz Bouteflika est hospitalisé à Paris, depuis samedi dernier, à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, suite « à des troubles au niveau de l'appareil digestif », selon un communiqué de la présidence de la République. Sous les arcades du boulevard Amirouche à Alger-Centre, le vendeur de journaux a recouvert d'un plastique transparent sa marchandise. Pluie. Grisaille. Flots de parapluies multicolores. « Pourquoi accuses-tu les journalistes. C'est une affaire divine... » rétorque un vieux qui lisait les manchettes des quotidiens posés sur des cartons. « Moi, je suis inquiet et je prie Dieu pour que Bouteflika aille mieux. Je suis vieux, et je sais que la maladie à un âge avancé n'est pas chose facile », poursuit-il. Ahmed part en marmonnant. Plus loin, au chaud, dans un café à la place Audin, des étudiants évoquent plutôt le mouvement de protestation que connaît l'Université d'Alger. « Bien sûr qu'on suit ce qui se dit sur le Président. Beaucoup pensent qu'il s'agit d'empoisonnement, comme pour Arafat ou Boumediène, mais on reste sans véritables nouvelles », dit Rachid, étudiant en langue arabe. « Et ce n'est pas la télé qui va nous donner des détails. D'ailleurs, à suivre les journaux télés de l'ENTV, avec leurs messages de sympathie, on peut même croire au pire », ajoute son collègue de promotion. Dégustant un café, « noir et serré », un retraité de la Poste lit un quotidien gouvernemental : « Notre Président doit rentrer sain et sauf au pays et vite. C'est inquiétant de ne pas avoir plus de nouvelle. On va comprendre qu'il s'agit de quelque chose de grave... Pourquoi tant de mystère ? » Samira et Amel, deux jeunes promeneuses sur la rue Didouche Mourad, serrées sous leur parapluie bleu, s'inquiètent, elles aussi, du mutisme officiel. « On ne comprend pas qu'on nous cache des choses sur la maladie du Président. Si il est gravement malade, il faut nous prévenir et nous préparer au pire. Si c'est moins grave, pourquoi nous laisser imaginer le pire », s'accordent-elles à dire. C'est l'avis aussi de Mohamed, vendeur de tabacs à la rue Ahmed Zabana, qui ne comprend pas qu'on laisse « la France » parler à la place des pouvoirs publics algériens. « Jusqu'à quand on restera un pays aussi dépendant de la France ? C'est humiliant ! » s'emporte Mohamed, 39 ans. Vers la place du 1er Mai, Dahmane, agent des Impôts attaquant la quarantaine, dit son désarroi devant « une telle catastrophe ». « On s'est habitué à lui. Depuis le temps. J'espère que tout ira pour le mieux pour lui », ajoutera-t-il. Du côté de la rue marchande Belouizdad, sur le chemin vers Belcourt, Omar et Farid, deux barbus et « salafistes », comme ils se présentent, vendeurs de vêtements et de parapluies sur le trottoir, témoignent d'une sensibilité bien théologique : « Nous ne voyons pas en lui un homme politique, depuis quelques jours, mais un homme d'un certain âge, qui est malade. Et face à cela, nous ne pouvons que suivre les préceptes de la religion et prier pour que Dieu lui apporte guérison et rétablissement. » Aux alentours du marché Laâqiba, les jeunes marchands s'abritent comme ils peuvent sous des archipels de bâches en plastique, précaires cieux fragmentés. « In challah que Bouteflika nous revienne vite », dit l'un des jeunes qui déclare avoir voté « oui » au dernier référendum du 29 septembre sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale. « Je n'aime pas le gouvernement, les policiers qui passent leur temps à nous chasser, mais là, comme c'est une question de maladie, peut-être même de vie ou de mort, on respecte le malade et on souhaite qu'il s'en sorte », appuie son collègue, vendeur informel de bas féminins. La pluie reprend de plus belle. Pourtant, l'hiver n'est pas encore là.