Aujourd'hui s'achève la 22e édition du Fespaco (Festival Panaficain du cinéma de Ouagadougou) et dans quelques heures seront connus les lauréats des grands prix attribués par cette manifestation biennale : l'Etalon d'or de Yennenga (meilleur long métrage), le Poulain d'or de Yennenga (meilleur court métrage de fiction), le Premier prix du documentaire, le prix Paul Robeson (meilleur film de la diaspora africaine), puis les prix récompensant les œuvres de télévision (téléfilms, séries, documentaires). Chaque catégorie comprend des prix de deuxième ou troisième position. La section longs métrages de fiction compte en outre les prix d'interprétation masculine et féminine, puis le prix dit de «collaboration artistique» qui est décerné au scénario, à l'image, au son, au décor, à la musique, au montage ou même à l'affiche, le jury étant libre de choisir parmi ces spécialités celle qui mérite d'être honorée. Un choix qui n'arrange ni les jurés ni les professionnels. En effet, cette méthode, peut-être unique au monde, focalise toute l'attention sur les réalisateurs et néglige gravement les autres corps de métier, pourtant essentiels à l'élaboration d'un film. C'est un des points du palmarès qui mériterait une remise en question totale, en harmonie avec la réalité de la création cinématographique. Tous les prix sont dotés de récompenses financières attribués par le gouvernement du Brukina Faso. Le lauréat de l'Etalon d'or de Yennenga, plus haute distinction, reçoit ainsi la somme de dix millions de francs CFA (15 250 euros au taux actuel), ce qui explique que ce prix, étant déjà un honneur et un levier de promotion, donne à la compétition une tension importante, d'autant que le festival n'a lieu que tous les deux ans, rendant les rotations plutôt longues. En tenant compte de ce rythme, le festival totalise désormais plus de quarante ans d'existence. Il a vu le jour en février 1969 sous le nom de «Festival du cinéma africain de Ouagadougou» bien que certains aient affirmé qu'il ne s'agissait que d'une semaine du cinéma. Quoi qu'il en soit, l'histoire a retenu que c'est la première fois que s'organisait une initiative de ce genre, initiative qui avait d'autant plus de mérite qu'elle prenait forme peu de temps après les indépendances des pays africains et que le cinéma du continent en était à ses balbutiements. On doit la naissance du Festival a un groupe de fondateurs et notamment François Djobi Bassolet, Burkinabé, né en 1933 et décédé en 2001, journaliste et historien qui occupa, de 1978 à 1981, le poste de directeur général de l'Agence voltaïque de presse (le Burkina Faso se nommait jusqu'en 1984 la Haute Volta). On retrouve aussi parmi les fondateurs, Alimata Salembéré, alors directrice générale de la Radio et de la Télévision nationales. On lui prête d'ailleurs l'une des originalités du festival, celle de mêler dans la même manifestation cinéma et télévision. Alimata Salembéré a été la seconde secrétaire générale du Fespaco de 1982 à 1984, après Louis Tiombano, ce poste ayant été créé après l'institutionnalisation de la manifestation en 1972. Calimata Salembéré, qui devint par la suite ministre de la Communication et de la Culture du Burkina Faso, a joué un grand rôle dans le passage du Fespaco du statut de manifestation nationale à celui de rencontre continentale et internationale. Lors de la première édition de 1969, on comptait seulement cinq pays (Sénégal, Côte d'Ivoire, Haute-Volta, Niger et Cameroun), avec la participation de la France et des Pays-Bas, et 23 films à l'affiche. L'année suivante, ce sont 9 pays africains qui y participent, dont l'Algérie, pour la première fois. A cette édition, 40 films furent projetés, montrant que la manifestation gagnait en audience. Mais, passé l'enthousiasme des débuts, la nécessité d'organiser la manifestation se fit sentir, d'où la décision de l'institutionnaliser et de la rendre biennale, autant parce que la production cinématographique africaine était faible (et le demeure) que pour des raisons de financement. A ce jour d'ailleurs, le Fespaco souffre d'une faiblesse de moyens et le Burkina Faso ne peut, à lui seul, assurer toutes les dépenses d'une rencontre de haut niveau. Aujourd'hui, en plus de sa contribution dans la dotation financière du palmarès, il assure de nombreux frais et apporte une contribution matérielle. Le Fespaco se finance surtout par des apports externes et surtout externes à l'Afrique. On y retrouve des institutions multilatérales, telles que l'Agence Internationale de la Francophonie, le PNUD, l'Unicef, l'Unesco, l'Union Européenne, ainsi que des pays non africains. La structure de financement, bien que non communiquée dans ses détails, est à peu près la même à chaque édition. C'est surtout vers l'Union africaine que les regards des cinéastes se tournent. Celle-ci a franchi un grand pas en décidant de la création d'un Fonds de soutien du cinéma africain qui doit financer la production et encourager les coproductions afro-africaines. La mise en place effective de ce fonds est attendue avec impatience par tous les professionnels du continent et notamment par la Fepaci (fédération panafricaine des cinéastes) qui a suscité cette initiative à partir de la Déclaration de Tshwane (ex-Pretoria) en 2006. Pour l'instant, comme le disait amèrement le réalisateur mauritanien Med Hondo : «Le cinéma africain n'existe pas, il n'y a que des cinéastes africains, obligés de mendier quelques sous aux institutions européennes pour faire un film tous les dix ans !». La présente édition du Fespaco a retenu 184 œuvres sur les 500 qui ont postulé. Pour les présenter, Ouagadougou a mobilisé 13 salles de projection pour les 482 séances prévues. Les prix, bien sûr, accaparent les esprits. L'Algérie, qui participe avec de belles œuvres, espère en glaner pour marquer la reprise encourageante de son cinéma. Mais il ne faut pas perdre de vue les propos du réalisateur tchadien, Haroun Mahamet Saleh, primé à Cannes et en lice à Ouagadougou, qui a osé déclarer : «Il n'y a pas d'exigence dans la sélection. C'est le seul festival qui ne va pas chercher les films, il faut lui envoyer les films». En marge de la compétition, se tient un colloque sur le cinéma africain et le marché avec ce constat accablant : le réseau africain, le plus pauvre au monde, ne passe que 3% de films africains ! Le cinéma américain, lui, est présent à 70% sur le continent et les films du reste du monde à 27%. Tout est dit dans ces chiffres et même l'Etalon d'or prend ici toute sa relativité.