Dans l'intervalle de quelques jours, deux artistes et intellectuels algériens ont été distingués. Le dramaturge Slimane Benaïssa a reçu le diplôme de docteur honoris causa le 22 novembre dernier à la Sorbonne et la chanteuse et sociologue Houria Aïchi a reçu les insignes de chevalier des arts et lettres. A travers la reconnaissance du talent et du travail de deux artistes algériens, la culture algérienne se trouve ainsi à nouveau valorisée et distinguée. Après Assia Djebar qui a fait son entrée à l'Académie française, après l'entrée de Kateb Yacine à la Comédie-Française, alors que d'autres talents attendent une consécration méritée, la culture algérienne est ainsi confirmée à travers ses enfants, partie prenante de la culture universelle. « Je suis émue par le fait que le travail que je fais sur le chant de mes ancêtres fait partie des bases qui m'ont construite, qui ont participé à faire la femme que je suis. Du plus lointain de mes souvenirs, j'ai la voix de ma grand-mère Ouenassa dans les oreilles. » Houria Aïchi se rappelle que lorsqu'elle avait enregistré sa première cassette à compte d'auteur, faisant ses premiers pas dans un travail de recherche et de valorisation du répertoire traditionnel chaoui, elle avait envoyé une copie au ministre français de la Culture. « Contre toute attente, il m'avait répondu en m'encourageant. Ce fait m'a confortée dans mon désir de continuer à travailler dans ce répertoire. » Et aussi d'exprimer toute sa fierté d'avoir porté « le chant des montagnards des Aurès dans la basilique des rois de France à Saint-Denis. Cela a été un grand moment ». Kateb Yacine à la Comédie-Française dans le cadre de l'Année de l'Algérie en France a fait retrouver à l'artiste les moments où jeune lycéenne à Constantine, les textes de l'auteur de Nedjma « étaient au centre des questionnements des jeunes gens de l'indépendance », se souvient encore Houria Aïchi. Tout comme lorsqu'elle avait été choisie par le grand chef d'orchestre Yehudi Menuhin avec cinq autres artistes femmes pour chanter la paix alors que l'Algérie saignait. « Cette distinction fut pour moi une immense surprise, avec ses paniques et ses interrogations », soulignait pour sa part Slimane Benaïssa lorsqu'il reçut, lors d'une cérémonie à la Sorbonne, son diplôme de docteur honoris causa . « Ma mère, ici présente et à qui je dédie cette distinction, était généreuse de son lait. Ses seins étaient les seuls dictionnaires d'une langue qui m'a fait naître. » « La langue pour moi, n'est pas un simple outil que je façonne, que je perfectionne, elle est le fantôme qui hante mon histoire et par laquelle il me faut rêver. Je ne porte pas ma langue maternelle, je suis porté par elle. Je porte la langue française et je suis emporté par elle. Telle est l'équation de mon bonheur de métis, au-delà des malheurs de mon histoire et des miens... L'Histoire des ‘‘nôtres'' a forgé notre esprit et notre imaginaire jusque dans l'intimité des métaphores. Le malheur a fait le poème, notre espoir est que la paix en fasse un chant. C'est la raison pour laquelle toute récompense ne peut prendre sa réelle dimension à mes yeux que si elle est acceptée par les ‘‘miens'' et je les remercie de partager avec moi la fierté que je ressens... Je souhaite que l'Algérie et la France évoluent sur le terrain de la réconciliation par la reconnaissance des douleurs qui nous séparent et que nous puissions écrire une mémoire commune, dans laquelle nous nous reconnaîtrons comme amis plus qu'ennemis et que nos liens réels, contrariés depuis longtemps par de mauvaises politiques, se libéreront, se consolideront en une complicité de fait, au-delà de toutes les vicissitudes de l'histoire. Quand les peuples le veulent, les politiques doivent le pouvoir. »