La première plaidoirie de la défense de Antri Bouzar Mohamed, patron de la société Algeria Business Multimedia (ABM), dans l'affaire qui l'oppose à la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), a eu lieu, mercredi dernier, à la chambre d'accusation de la cour d'Alger. Antri Bouzar Mohamed a été mis sous mandat de dépôt ainsi que deux de ses collaborateurs, Toufik Sator et Zerrouk Djaidir en l'occurrence, suite à une affaire de passation de marchés, conclus du temps du défunt Ali Tounsi, ex-patron de la DGSN. La plaidoirie de mercredi portait sur l'obtention de la liberté provisoire de Antri Bouzar Mohamed et de Zerrouk Djaidir. La cour a rejeté catégoriquement la demande de la défense, avons-nous appris d'une source proche de la juridiction en question. Flash-back sur une affaire qui a surpris plus d'un, des connaisseurs notamment des détails du dossier. Dans les faits, le Président directeur général de ABM est poursuivi pour «viol de la législation régissant les marchés publics», d'après une source proche de la défense. Les mis en cause sont poursuivis aussi pour «malversations présumées ayant causé un préjudice à une institution d'Etat». Globalement, les deux marchés conclus par la DGSN et ABM, sujet de la polémique, portent essentiellement sur la fourniture aux services de la police d'un matériel informatique composé d'imprimantes, stations de travail, d'onduleurs et de consommables de marque Epson. Dans les détails, le premier marché remonte à 2007, lorsque la DGSN avait diffusé un appel d'offre public pour l'acquisition d'imprimantes, d'onduleurs, de stations de travail et de PC portables ABM, distributeur officiel agréé par Epson, avait soumissionné alors pour le lot composé d'imprimantes et d'onduleurs, déclaré infructueux quelques semaines après. Un second appel d'offre a été lancé et ABM avait été retenue pour le lot onduleurs, dont le marché est estimé à 115 millions de dinars, mais écartée pour le lot des imprimantes (un marché de 200 millions dinars). Le marché portant sur la livraison de 10 300 onduleurs à la DGSN a été paraphé le 24 février 2008 par, d'une part, Antri Bouzar Mohamed en sa qualité de P-DG de ABM et, de l'autre, par Youcef Daimi le directeur de l'administration générale de la Sûreté nationale, lit-on sur une copie de la convention. Le contrat, dont nous nous sommes procurés un exemplaire, a été approuvé aussi, faut-il le souligner, par le défunt Ali Tounsi, ex-patron de la DGSN, et validé par la Commission des marchés (CM) et les services du contrôle financier de l'Etat (CFE). Le contrôleur financier de l'Etat valide Le texte de la convention a été rédigé comme suit : «Les deux parties contractantes s'engagent conformément aux dispositions du décret présidentiel n°02-250 du 24/07/2002, portant réglementation des marchés publics modifié et complété, à s'acquitter chacune en ce qui la concerne des obligations découlant du présent marché régi par le cahier des Prescriptions Spéciales». Abderrahmane Lakehal, directeur général par intérim, rencontré dans les locaux d'ABM, précise que «l'ensemble du matériel a été livré sans réserve de la DGSN, accompagné d'une garantie de deux ans et une caution de bonne exécution». Antri Bouzar Mohamed a-t-il donc pu violer la législation régissant les marchés publics, puisque le cachet de la CM et du CFE est apposé sur le contrat, signé, rappelons-le, par Ali Tounsi en personne ? Autrement dit, peut-on remettre en cause un contrat validé par toutes les instances de l'Etat en charge du contrôle financier et de la conformité des transactions engageant les deniers publics ? Manifestement, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette affaire. Le second marché, conclu suivant la formule de passation de gré à gré simple, porte sur la fourniture à la DGSN de consommables d'origine pour imprimantes de marque Epson. D'après une correspondance de Epson France, adressée le 11 novembre 2008 à ABM, son distributeur en Algérie, nous comprendrons que des responsables de la DGSN et de EPSON se sont réunis le 4 novembre 2008 dans les locaux de la direction de la Sûreté nationale afin d'arrêter une liste de consommables correspondant aux besoins de la DGSN. «Notre politique de vente indirecte nous amène à mandater la société ABM d'Alger pour signer la convention de prix et service sur ce dossier en local», lit-on sur la convention de Epson, signée le 11 novembre 2008 par Jean-Pierre Lafargue, responsable export à Epson France. C'est ainsi que la société de Antri Bouzar Mohamed a été autorisée à fournir du consommable d'origine Epson pour le compte de la DGSN. C'est-à-dire que le marché de gré à gré a été négocié entre les services de la DGSN (éventuellement la Commission des marchés) et Epson France. Quant à la société de Antri Bouzar Mohamed, celle-ci n'a joué que le rôle d'intermédiaire dans la fourniture du matériel. En d'autres termes, ABM n'a fait qu'assumer son rôle de distributeur agréé, mandaté par la maison-mère. La convention portant sur ce marché de gré à gré a été signée le 27 juin 2009 par le directeur de l'administration générale de la Sûreté nationale, Youcef Daimi. Des questionnements et des zones d'ombre Le marché a été validé également par la Commission des marchés (visa n° 69/2009) ainsi que par le contrôleur financier de l'Etat, dont le visa est immatriculé 4648 du 01/07/2009). Le contrat a été approuvé également par le défunt Ali Tounsi le 6 juillet 2009. «La commande a été donc livrée. Le premier bon de commande qui a été émis par la DGSN pour 16 millions de dinars a été honoré et une caution de bonne exécution de 3 millions de dinars a été déposée», dira Abderrahmane Lakehal pour qui, le marché de gré à gré est justifié par le fait que ABM est le distributeur principal d'EPSON, présentant les meilleures garanties sur le marché algérien. «ABM a été mandatée officiellement par EPSON afin de livrer les consommables à la DGSN», poursuit le directeur général par intérim de ABM. Second questionnement : y a-t-il réellement eu préjudice causé à la DGSN, puisque la marchandise a été livrée à temps et suivant les conditions préalablement fixées par les deux parties contractantes. A première vue, il semble que cette affaire s'entoure de zones d'ombre qui suscitent moult questionnements. Le 15 mars dernier, nous avons adressé une demande d'informations à la DGSN dans laquelle nous demandons une interview avec l'un des responsables de l'institution que dirige Abdelghani Hamel, capable de nous éclairer davantage sur cette affaire. Alors que nous nous affairons à rédiger les premiers éléments de l'enquête, nous recevons un appel du responsable de la communication à la DGSN, M. Boudalia. «Cette affaire est au niveau de la justice et nous n'avons aucun commentaire à faire. L'affaire est en instruction et nous n'avons pas le droit de divulguer des informations à ce sujet», nous a-t-il répondu au téléphone. Mais il semblerait que toute l'affaire repose sur un seul élément ; Toufik Sator, un des collaborateurs de Antri Bouzar Mohamed, présenté comme étant le gendre de Choueib Oultache, assassin présumé de Ali Tounsi, serait le véritable propriétaire d'ABM. «C'est faux», répliqua Abderrahmane Lakehal, précisant que Toufik Sator ne détient que 0,12% des actions dans Algeria Business Multimedia. Manifestement, il y a une espèce d'injustice dans l'incarcération de Antri Bouzar Mohamed. Quoi qu'il en soit, il y a bel et bien vrai besoin d' élucider tous les recoins de cette affaire.