Les lendemains ne semblent pas être une partie de plaisir pour le président ivoirien, Alassane Ouattara, qui vient de prendre les rênes d'un pays à l'avenir en pointillés… Signe que la chute de Gbagbo ne règle pas tout, des tirs à l'arme lourde ont retenti hier matin à Abidjan, dans les quartiers du Plateau (centre) et de Cocody (nord), deux bastions de l'ex-président déchu. Gbagbo est certes tombé, mais la manière risque de provoquer un retour de flammes. La France, dont l'engagement avec armes et bagages en faveur de Ouattara est évident, est accusée d'avoir orchestré un coup d'Etat. Un représentant du camp Gbagbo n'a pas hésité, hier à Paris, à faire porter le chapeau aux «forces spéciales françaises» coupable d'avoir «enlevé» le président sortant. Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, a saisi au vol l'accusation qu'il a évidemment démentie. «L'ONU et la France voulaient le respect des résolutions du Conseil de sécurité, rien de plus, rien de moins.» Et d'ajouter : «L'Onuci a été en tête, ce sont les hélicoptères de l'Onuci qui ont commencé à bombarder et la France, comme on nous l'a demandé, est venue en soutien». Mais qui peut croire le patron du Quai d'Orsay ? Surtout pas les fidèles de Gbagbo et tous ceux qui dénoncent l'ingérence flagrante de la France dans les affaires internes de la Côte d'Ivoire sous l'étendard trompeur des Nations unies. Preuve en est que la France de Sarkozy n'a pas tardé à manifester sa «générosité» en dégageant hier une aide «exceptionnelle» de 400 millions d'euros en faveur de son ancienne colonie, pour aider notamment à satisfaire les besoins urgents des populations et d'Abidjan. Exceptionnelle oui, mais la Côte d'Ivoire de «l'ami» Ouattara le vaut bien… Paris, qui a mis l'argent, les armes et les hommes pour déposer Gbagbo, attend logiquement un retour sur un tel investissement. Et Alassane Ouattara, dont l'épouse est française, apparaît aux yeux des observateurs comme l'homme parfait qui va assurer et rassurer sur le retour de «sa» Côte d'Ivoire dans le giron de la France et de la «Françafrique». Le ticket Ouattara gagnant de Paris Mais la cause est-elle pour autant entendue ? Pas sûr. Le président Ouattara hérite d'un pays économiquement à genoux et politiquement fracturé. Sa mission de réconcilier tous les Ivoiriens du Nord comme du Sud s'annonce délicate. Et Ouattara commence plutôt mal. Dans son premier discours, il a annoncé une procédure judiciaire contre son ex-rival, son épouse et ses collaborateurs, assurant que «toutes les dispositions sont prises» pour assurer leur «intégrité physique». Mais pour un homme qui prône la réconciliation, Ouattara n'est pas bien conseillé. Pourtant, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, l'y a encouragé, en déclarant que «la Côte d'Ivoire disposait désormais d'une occasion historique pour promouvoir la réconciliation nationale, établir un gouvernement d'unité nationale et rétablir l'autorité de l'Etat». Le SG de l'ONU a diplomatiquement mis en garde Ouattara de faire en sorte «d'éviter un nouveau bain de sang et des représailles». Mais le spectre des affrontements plane plus que jamais sur un pays qui a enterré près de 1000 personnes depuis le début de la crise en décembre 2010. Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a d'ailleurs nommé, hier, les trois experts chargés d'enquêter sur ces crimes commis depuis le scrutin présidentiel. Des plaies sanguinolentes difficiles à cicatriser. C'est dire que le traitement réservé aux pro-Gbagbo servira de baromètre pour jauger la capacité de Ouattara à s'imposer comme président de tous les Ivoiriens, loin de toute pression extérieure.