S'il n'est pas posé sur la place publique, l'état de santé du président de la République est par contre l'objet de toutes les conversations des Algériens. Vendredi soir, ce fut le grand choc : le visage plongé dans son texte, n'arrivant pas à fixer la caméra, Bouteflika lisait d'une voix lente, butant quelquefois sur les mots, tournant difficilement, d'une main tremblante, les pages. Les téléspectateurs ont découvert toute la réalité de la dégradation de la condition physique de leur chef d'Etat que laissaient toutefois deviner, depuis longtemps, ses rares apparitions dans son bureau ou sur le perron de la Présidence, à la faveur d'une audience accordée à un envoyé spécial ou à un ambassadeur ou lorsque étaient annulés des déplacement à l'intérieur ou à l'extérieur du pays. Si la maladie, apparue fin 2005, a été (officiellement) jugulée, les séquelles ou l'évolution du mal n'ont apparemment pas été stoppées. La télévision publique s'est fait un devoir de tenter de «combler le vide» par la diffusion régulière du portrait de Bouteflika lors de l'annonce de ses messages, déclarations, condoléances, etc. Le pays s'habitua à ses absences, mais il y eut une parenthèse : la campagne électorale qu'il mena pour sa réélection en avril 2009 pour un troisième mandat. Des bains de foule assez intenses dans plusieurs wilayas, la rémission semblait à la hauteur de l'enjeu. La diplomatie du pays a subi la première les contrecoups de cet effacement public, Bouteflika ne supportant plus les longs voyages à l'étranger. La gestion des conflits internes, notamment sociaux, fut du seul fait du gouvernement, mais le chef de l'Etat fut contraint de se manifester en janvier 2011 pour stopper les émeutes populaires : il fit annuler plusieurs mesures étatiques et débloqua de grosses sommes d'argent en direction des jeunes et des chômeurs, mais sans s'adresser à eux. Et cette fois-ci, il est contraint d'apparaître publiquement pour tenter d'endiguer les revendications politiques apparues dans le pays, portant sur un changement de système dans le sillage des révoltes agitant le monde arabe. Ce fut le discours à la nation de Tlemcen, par lequel Bouteflika s'engage à faire réviser la Constitution, la loi sur les partis et la loi électorale, mais sans bouleverser le statu quo. En ne se prononçant pas sur la limitation des mandats, sur l'ouverture politique et médiatique et sur des élections anticipées, il affiche une volonté claire de replâtrer le système actuel dont il est l'architecte et le premier bénéficiaire. Cela dans le fond. Mais au niveau de la forme, sera-t-il en mesure, vu son état de santé, de mener à terme et de contrôler tout ce chantier qu'il a ouvert et qu'il entend contrôler de bout en bout, ainsi qu'il l'a déclaré ? Et parallèlement, faire face à la mobilisation des adversaires à ses réformes, tout cela dans un contexte d'exacerbation des revendications sociales et d'aggravation des tensions régionales aux incidences directes sur l'Algérie ? Comme il engage par sa personne toute la nation, le président de la République est tenu de prouver qu'il est en mesure de tenir le gouvernail. Un bulletin de santé régulièrement délivré s'impose aujourd'hui et c'est la première des conditions.